A Normal Lost Phone : quand le jeu nous parle de genre(s) et de sexualité(s)

C’est une question simple qui constitue le point de départ du jeu A Normal Lost Phone : que feriez-vous si vous trouviez le téléphone portable d’un inconnu dans la rue ? Dans ce jeu au format court sorti fin janvier, le téléphone portable de Sam s’est retrouvé entre vos mains par une série de circonstances inexpliquées. Qui est Sam ? A vous de le découvrir et de comprendre comment son portable a disparu par l’examen minutieux de son contenu. De SMS en applis de rencontre, de mots de passe en identifiants Wi-Fi, vous devrez vous frayer un chemin dans les données du téléphone, avec un seul but : connaitre l’histoire de son propriétaire. Bienvenue dans la vie privée de Sam.

La curiosité, ce vilain défaut

Sans verser dans la critique facile de la société de communication dans laquelle nous vivons, des dangers des réseaux sociaux et d’Internet, A Normal Lost Phone nous interroge intelligemment sur notre propre volonté, un tantinet malsaine, de fouiller dans la vie d’autrui, y compris celle de personnes qui nous sont totalement étrangères. Et il le fait tout en nuance en vous plaçant dans une situation ambivalente, entre curiosité et culpabilité. Vous voici face à un téléphone « normal », tout ce qu’il y a de plus ordinaire, dans lequel vous avez accès à plusieurs applications, dont la messagerie. Très vite, sans que le jeu ne vienne vous forcer la main, vous voilà en train de lire les messages de Sam. Vous lisez ses conversations avec son père, avec sa petite-amie, avec ses camarades de classe, avec son cousin. Et bien sûr, plus vous en lisez, plus vous voulez en lire. Vous ne vous contentez donc pas de lire les derniers messages, mais remontez jusqu’à des dates bien antérieures.

Puis une sorte de curiosité compulsive vous donne envie d’explorer les autres applications du téléphone, celles qui sont protégées par un mot de passe. La frustration de ne pouvoir accéder directement à toutes les applications, loin d’être dissuasive, est un véritable stimulant qui vous pousse à fouiller tout le téléphone pour déterminer le mot de passe qui vous permettra de progresser. Petit à petit, le jeu nous permet de franchir des limites qui viennent titiller notre sens moral – jusqu’où a-t-on le droit de fouiller ce téléphone ? En ce sens, la force de ce jeu est d’avoir réussi à me questionner sur mon rapport au voyeurisme, là où de « grands » jeux prétendant traiter du même thème ne faisaient qu’effleurer cette question sans jamais responsabiliser le joueur, à l’instar de Watch Dogs, dont le gimmick principal était le piratage et le hacking, mais ne semblait jamais proposer de réelle réflexion sur le sujet.

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A Normal Lost Phone, c’est aussi un jeu sur l’importance de choisir des mots de passe sécurisés.

Une esthétique soignée

Lorsque j’ai téléchargé le jeu, avec une vague idée du concept – un jeu où l’interface est un écran de téléphone qu’il convient de fouiller – je ne m’attendais pas à une direction artistique très poussée. Pourtant, malgré l’interface minimaliste, les développeurs français d’Accidental Queens n’oublient pas de faire une proposition esthétique intéressante. Le jeu opte pour une direction artistique à l’opposé du photoréalisme que l’on aurait pu attendre d’un tel jeu, au profit de graphismes « dessinés à la main ». Les icônes du téléphone sont crayonnées, les couleurs évoquent le pastel et l’aquarelle, et le lecteur musical du téléphone joue en boucle une playlist de compositions originales qui nous plongent dans un univers très adolescent, dans la mélancolie du stade « jeune adulte » dans lequel baigne le propriétaire du téléphone. L’esthétique générale n’est pas sans rappeler celle du jeu Life is Strange, sa bande son très pop/folk, ses couleurs délavées et les crayonnés adolescents du journal intime de Max, mais aussi sa capacité à nous faire explorer la vie privée de personnages secondaires au profit de la narration.

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Le jeu ne vise pas le réalisme à tout prix.

Le joueur impliqué dans une réflexion sur la sexualité

Dès l’écran d’introduction, le joueur est mis en garde : A Normal Lost Phone peut contenir des propos discriminants et homophobes. Aussi, je m’attendais à ce que l’histoire de Sam soit liée de près ou de loin au thème de l’homosexualité. J’avais alors l’impression de savoir à quoi m’attendre, et je pensais avoir tout compris dès le départ de l’histoire que je m’apprêtais à découvrir. Pourtant, s’il explore bel et bien des thématiques LGBT, le jeu a su me surprendre. Je ne souhaite pas en dire davantage afin de ne pas vous gâcher les surprises que réserve ce Normal Lost Phone, mais au fil de mon exploration du téléphone, j’ai découvert des facettes de Sam que j’étais loin d’avoir vu venir, et qui faisaient pourtant totalement sens une fois le puzzle remis en place.

La question de la sexualité est bel et bien au coeur de A Normal Lost Phone – comment assumer sa sexualité, auprès de ses amis, de sa famille, mais aussi, et c’est là la plus grande difficulté, auprès de soi-même ? Toute la force de la narration de A Normal Lost Phone, c’est de placer le joueur au cœur de ces questionnements. Vous vivez ce travail d’acceptation de soi, ces doutes, ces angoisses, directement à travers les yeux du personnage, ou en l’occurence, à travers l’écran de son téléphone. Lorsque vous découvrez un nouvel élément du téléphone de Sam – une application récemment installée, un compte créé sur un forum de discussion, vous savez, pour avoir lu ses messages au préalable, où Sam en était dans son parcours de vie au moment précis où cet élément est apparu dans son téléphone. Au travers d’interfaces qui nous sont familières – les applications d’un téléphone, un navigateur web – le jeu rend très réelle une thématique qui pourrait nous sembler lointaine au premier abord. Que vous vous sentiez concerné(e) ou non par la cause LGBT, ce jeu vous y implique directement – et mieux encore, vous instruit, change votre regard sur les choses, et vous ouvre l’esprit d’une façon très intelligente. Si elle semble libre, la narration de A Normal Lost Phone est pourtant bien linéaire, bien fixée sur des rails, chaque nouvelle découverte nécessitant une action précise de votre part, un pas de plus vers la vérité sur la disparition de Sam – les développeurs vous mènent vers un message sur le genre et la sexualité, assez inédit dans le monde du jeu vidéo. Le joueur se sent concerné par l’histoire de Sam, à plus forte raison du fait que contrairement à d’autres jeux, on n’incarne pas un héros, on est le héros. Vous avez trouvé un téléphone, et vous seul pouvez comprendre ce qui s’est passé. Jusque dans les derniers instants du jeu, le joueur est responsabilisé, il comprend qu’il a un rôle à jouer dans l’histoire de Sam. Et en définitive, on ne peut qu’avoir un regard protecteur et bienveillant envers cette personne inconnue dont on a trouvé le téléphone par hasard.

Normal Lost Phone

Difficile de parler de ce jeu sans trop en révéler, aussi je ne peux que vous conseiller d’y jouer et de découvrir un titre surprenant, à la narration originale et au contenu instructif. Derrière ses allures de jeu tout simple,  A Normal Lost Phone vient apporter un vent de fraîcheur au jeu vidéo, en rendant visible un sujet qui n’y est pour ainsi dire jamais abordé. Et en plus, c’est un jeu français. Alors, cocorico.

A Normal Lost Phone, un jeu développé par Accidental Queens, sorti le 25 janvier 2017. Disponible à 2,99€ sur SteamApple AppStore et Google Play.

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8 commentaires sur “A Normal Lost Phone : quand le jeu nous parle de genre(s) et de sexualité(s)”

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