The Last of Us Part II, ou les limites de la recette « Naughty Dog »

À de nombreux égards, le studio californien Naughty Dog figure parmi les développeurs les plus unanimement appréciés de l’industrie du jeu vidéo. Déjà détenteur d’un portfolio fort honorable — le studio peut se targuer d’avoir créé deux des franchises les plus emblématiques du genre plateforme : Crash Bandicoot sur PlayStation 1 et Jak & Daxter sur PlayStation 2 — Naughty Dog commence à réellement forger sa légende avec la série Uncharted, qui fait ses débuts en 2007 sur PlayStation 3. Sans qu’ils soient pour autant des œuvres révolutionnaires, les quatre jeux de la saga se font remarquer par leur souci du détail, leur mise en scène parfaitement réglée, leur narration hollywoodienne et leur gameplay aussi dynamique que cinématographique ; qui sont devenus des standards pour tout le reste de l’industrie. Fort du succès d’Uncharted, Naughty Dog obtient la consécration en 2013, avec la sortie de The Last of Us, un titre à mi-chemin entre le jeu d’action-aventure et le survival horror, reconnu quasi-unanimement, tant par la critique que par les joueurs, comme un véritable chef-d’oeuvre.

Beaucoup d’encre a d’ores et déjà coulé sur The Last of Us, sur son scénario, sur sa fin poignante, sur ses personnages réalistes. Je n’en ai moi-même toujours dit que du bien, et je le place régulièrement en tête de mon classement des jeux les plus marquants. Mais lorsque Naughty Dog a annoncé une Part II dès 2016, j’ai aussitôt eu quelques appréhensions. À mon sens, The Last of Us était un jeu qui se suffisait à lui-même, et dont la fin, suffisamment émouvante en l’état, n’appelait pas de suite. Je craignais que le fait de poursuivre l’histoire ne vienne diminuer l’impact du premier opus.

Plus de quatre ans après l’annnonce de ce deuxième volet, les temps ont bien changé, tant pour Naughty Dog que pour le reste de l’industrie vidéoludique. Une génération entière de consoles a eu le temps de s’écouler, et avec elle, de nombreux titres au gameplay soigné et aux graphismes incroyables, et d’autres jeux, dans d’autres genres, qui ont traité sous des angles fort différents des thématiques que The Last of Us avait été parmi les premiers à introduire. Quant à la réputation de Naughty Dog, le moins que l’on puisse dire est qu’elle a été sacrément entachée à la lumière de révélations récentes. Dès Uncharted 4, et jusqu’à la sortie de The Last of Us Part II, le studio a vu certains de ses employés, dont certaines figures emblématiques comme Amy Hennig, la créatrice d’Uncharted, prendre la porte, parfois dans des conditions assez surprenantes. Mais surtout, plusieurs enquêtes ont révélé que le studio était un adepte du crunch. Ce que l’on désigne par ce terme : non pas une barre de céréales chocolatée, mais la politique, menée par de nombreux studios de développement, qui consiste à faire travailler ses employés dans des conditions de travail indécentes, parfois jusqu’à l’épuisement, sous le prétexte de vouloir sortir un produit de la meilleure qualité possible. Une pratique de plus en plus dénoncée, et qui dans le cas de Naughty Dog, vient noircir un tableau qu’on nous avait jusqu’ici dépeint tout en couleurs. Un scandale qui n’a toutefois pas empêché The Last of Us Part II de récolter une liste de récompenses game of the year longue comme le bras dans les mois qui ont suivi sa sortie… De quoi nous interroger quant à la responsabilité collective de l’industrie vidéoludique face à ce genre de pratiques.

Dans ce contexte si particulier, mes doutes quant à cette Part II se donc trouvés d’autant plus exacerbés. Malheureusement, le produit fini ne les a pas démentis. Autant que j’aurais voulu aimer The Last of Us Part II, je n’ai malheureusement pas ressenti, en y jouant, ce que j’avais ressenti à l’époque de son prédécesseur. S’il ne fait aucun doute que des heures et des heures de travail ont été consacrées à ce jeu, objectivement très abouti ; il ne m’a, à mon grand désarroi, pas convaincu de l’utilité d’une suite. Pire encore, je dirais qu’il m’a convaincu du fait que Naughty Dog a bel et bien perdu de sa superbe. Quelques mois après l’avoir terminé, j’ai voulu me replonger plus en détails dans ce jeu, et essayer de comprendre à quels moments Naughty Dog a, selon moi, manqué le coche.

Attention : cet article comprend des spoilers.

Un pionnier en 2013, un suiveur en 2020

The Last of Us, premier du nom, prend place dans un univers post-apocalyptique — une Amérique décimée par un parasite fongique du nom de cordyceps. Le joueur passe par mille-et-un sentiments aux côtés d’un duo de personnages particulièrement attachant : Joel, un contrebandier d’une quarantaine d’années rongé par la mort de sa fille vingt ans plus tôt, et Ellie, une jeune fille de quatorze ans, dont il se révèle rapidement qu’elle est immunisée contre le parasite qui transforme tout le reste de l’humanité en créatures monstrueuses. Ensemble, ils traversent les États-Unis pendant une année entière, condamnés à survivre entre bandits meurtriers et infectés voraces, afin que l’immunité d’Ellie puisse constituer la souche d’un vaccin. Mais au terme d’un périple riche en émotions, au cours duquel le joueur — et Joel — se sont attachés à Ellie comme s’il s’agissait de leur propre enfant, il se révèle que la confection dudit vaccin implique nécessairement la mort de la jeune fille sur la table d’opération. Au cours d’une séquence finale poignante, dont beaucoup de joueurs (moi le premier) considèrent qu’il s’agit de l’un des moments les plus forts de l’histoire du jeu vidéo, Joel prend une décision aux conséquences dramatiques : il décide d’assassiner de sang froid les médecins qui opéraient Ellie, privant de ce fait l’humanité tout entière de son seul salut, afin de sauver une seule personne ; celle qu’il considère désormais comme sa fille adoptive.

Au-delà de cette fin bouleversante, The Last of Us avait été salué pour la justesse de ses personnages, et pour la capacité du scénario à aborder, par le prisme d’un univers post-apocalyptique, des thèmes que le jeu vidéo n’avait encore que peu explorés. Parmi eux, il y avait notamment la question de la représentation « LGBT+ » : le personnage secondaire de Bill était homosexuel ; mais surtout, la campagne additionnelle Left Behind révélait, à l’occasion d’un tendre baiser échangé avec son amie Riley sur fond d’une reprise de I Got You Babe, que le personnage d’Ellie était attiré par les femmes. De mémoire de joueur, c’était la première fois que je voyais un baiser lesbien échangé dans un jeu vidéo, et un jeu vidéo à gros budget, de surcroît. Depuis, du chemin a été parcouru, et nombre d’autres jeux ont apporté leur pierre à l’édifice de la représentation de la communauté LGBT+. On peut par exemple citer Life is Strange, qui dépeint une relation ambiguë entre les personnages de Max et Chloe, ou Tell me Why, par les mêmes développeurs, qui traite de la transidentité.

The Last of Us Part II a pour ambition à peine dissimulée (une bande-annonce pour le jeu placardait aux yeux du monde entier un baiser entre Ellie et Dina) de poursuivre en ce sens, vers plus de représentativité, plus d’inclusivité, et faire avancer les mentalités. Mais y parvient-il avec brio ? À bien des égards, oui : The Last of Us Part II est un jeu qui fait du bien en matière de représentativité. Ses protagonistes exclusivement féminins bousculent les représentations habituelles des femmes dans le jeu vidéo (Ellie, par sa brutalité ; Abby, par sa carrure, présentent des caractéristiques habituellement attribuées aux hommes). La relation homosexuelle entre Ellie et Dina constitue une intrigue centrale du récit. De surcroît, il se révèle assez rapidement que Dina est enceinte, ce qui permet d’explorer le thème de l’homoparentalité. The Last of Us Part II met également en scène un personnage du nom de Lev, dont il se révélera qu’il est un jeune homme trans. Détail qui a son importance, et qu’il convient de saluer : le comédien qui joue ce personnage est lui-même un homme trans. On ne le dira jamais assez : oui, cela fait énormément de bien qu’un jeu vidéo à gros budget prenne le risque (car, à en voir les nombreux tweets accusant Naughty Dog de servir un « agenda LGBT », cela constitue toujours un risque) de mettre à ce point en avant des personnages LGBT+, quitte à se priver d’un certain nombre de joueurs ou de certains marchés que cela dérangerait.

Quoi qu’on pense de « TLOU 2 », le fait qu’il mette en avant des personnages LGBT+ est bienvenu, tant l’industrie et la communauté vidéoludique demeurent parasités par le sexisme et l’homophobie.

Là où le bât blesse en revanche, c’est que ces personnages « inclusifs » ont vite fait de tomber dans la caricature, sinon dans l’oubli. J’ai été frustré de constater que l’intrigue consacrée à Lev reste totalement en suspens à la fin du récit : lorsque le jeu se termine, on ignore ce qu’il advient de lui. De même, alors que le scénario du jeu nous tease pendant de longues heures un personnage nommé Isaac — dont il se révèle, lorsque nous le rencontrons enfin, qu’il est afro-américain — ce dernier est finalement vite expédié : on ignore ses motivations, on ne sait rien de ce qu’il advient de lui après les événements du jeu, et on ne le voit en tout et pour tout que durant deux ou trois scènes. Enfin, alors que Dina occupe une place centrale durant le premier tiers du jeu, le personnage se trouve relégué au second plan durant la suite de l’histoire. Les conditions de sa grossesse dans un monde post-apocalyptique sont passées sous silence, jusqu’à ce que son bébé naisse par miracle dans la dernière ligne droite du jeu. Et lorsque arrive l’épilogue, Dina abandonne Ellie à son triste sort, partant avec son enfant, et laissant sa bien-aimée tristement seule.

« Si vous voyez des lesbiennes amoureuses [dans les jeux, au cinéma ou à la télévision], il y a de fortes chances pour que ça tourne rapidement au désastre. […] Dans la fiction, les couples lesbiens sont maudits, au point que si l’une d’entre elles ne meurt pas, on considère ça comme un événement pour la communauté LGBT. […] [The Last of Us Part II] a été remarqué pour son inclusion de personnages queer, en la personne d’Ellie et de Dina. On a lu beaucoup d’articles qui ont salué cette excellente initiative, mais tous sont complètement passés à côté du fait que le jeu renforce l’idée selon laquelle les couples lesbiens finissent toujours en désastre. »

– Emma Flint, « Last of Us 2 reveals why the worst trope in video games needs to die in 2021 », publié le 7 mars 2021 sur Inverse (traduit de l’anglais)

On finit par se dire que ces personnages n’ont servi qu’à cocher un certain nombre de cases, et que leur présence au scénario est quelque peu « gratuite ». De fait, cela vient révéler un problème plus profond concernant la narration du jeu dans son ensemble.

Un scénario qui ne raconte rien, des personnages qui font du sur-place

Que raconte vraiment The Last of Us Part II ? Telle est la question. Les enjeux dramatiques au cœur de The Last of Us premier du nom étaient sa plus grande force, et la raison d’une telle unanimité parmi les joueurs. On suivait le même duo — Joel et Ellie — durant une année entière ; on parcourait l’Amérique à leurs côtés, on apprenait à s’attacher à eux, à connaitre leurs forces et leurs faiblesses, on voyait leur relation, ses hauts, ses bas, les moments les plus intenses comme les plus légers. C’était une histoire d’amour entre un père et sa fille (de substitution, certes), subtilement racontée. Et comme dans toute bonne histoire, à la fin du récit, nos deux héros étaient transformés par rapport à ce qu’ils étaient au départ : Joel, changé à jamais par sa terrible décision d’assassiner les médecins ; Ellie, marquée par le poids d’avoir sacrifié l’humanité par le simple fait de demeurer en vie.

C’était bien ce qui me faisait douter de la pertinence d’un deuxième épisode : que pouvait-on raconter d’aussi fort ? De fait, la réponse que Naughty Dog a apportée avec ce jeu est bien celle que je redoutais : pas grand chose. Le twist majeur des premières heures de ce deuxième opus est la mort de Joel, assassiné par le mystérieux personnage d’Abby ; à la suite de quoi Ellie jure à qui veut bien l’entendre qu’elle éliminera tous les responsables de son assassinat. Le deuxième twist (cousu de fil blanc) est qu’Abby se révèle être la fille d’un des médecins assassinés par Joel à la fin du premier épisode. S’ensuit un scénario tout en nuances de gris, alternant les points de vue entre Ellie et Abby, deux héroïnes que tout oppose mais dont les motivations sont pourtant similaires. Dans le fond, The Last of Us Part II est donc une histoire de vengeance, banale et convenue, comme on en a déjà connu des dizaines. Mais une vengeance qui, de surcroît, ne s’accomplit jamais. Car à deux reprises, Ellie et Abby se rencontrent, sans qu’aucune des deux ne se décide à éliminer l’autre.

Si bien que lorsque le jeu se termine, on en vient à se dire : tout ça pour ça ? Quel était le sens de toute cette histoire ? Quels en étaient les enjeux ? Ellie finit son aventure plus seule que jamais, sans rien avoir appris du monde qui l’entoure ; l’histoire d’Abby s’achève sans que l’on sache ce qu’il advient d’elle ni des Lucioles qu’elle vient de découvrir. Le jeu se contente d’enchainer les séquences et les flashbacks, avec un rythme non seulement très lent mais également très haché, sans que l’on comprenne où toute cette histoire compte nous mener. L’idée d’alterner les points de vue entre Ellie et Abby est bonne sur le papier : c’est vrai, l’antagoniste Abby devient rapidement un protagoniste attachant, et la protagoniste Ellie apparait, finalement, comme un antagoniste. Mais cette alternance vient également plomber le rythme de la narration, si bien que l’on finit par se demander quand cette histoire interminable prendra fin.

C’est là le problème central du jeu, et ce qui le rend si pénible à jouer de bout en bout : c’est l’histoire de personnages qui semblent incapables d’apprendre ou de grandir, et plus spécifiquement, incapables de prendre en considération l’humanité des personnes qu’ils tuent. […] Je m’attendais constamment à ce qu’Ellie mûrisse, et se détourne de cette vie de violence constante, mais elle ne remarque jamais la nature éminemment didactique du jeu dans lequel elle se trouve. […] Oui, le monde réel est brutal et horrible, et ce monde post-apocalyptique l’est encore plus. Mais les humains peuvent apprendre, les humains peuvent changer, et c’est ça qui rend une histoire satisfaisante, même dans le cas d’une histoire dramatique. Je voulais que ces personnages prennent conscience de leurs faiblesses, qu’ils les surmontent, qu’ils se transforment, d’une certaine manière, même infime. Mais ce jeu ne raconte pas cette histoire. Il raconte l’histoire d’un cycle de la violence dont nul n’échappe, pas même moi, la personne qui joue à ce jeu. Ellie est piégée, apparemment incapable de mûrir, d’apprendre ou de changer, et je me retrouve coincée au même point qu’elle.

– Maddy Myers, « The Last of Us Part 2 review: We’re better than this », publié le 12 juin 2020 sur Polygon (traduit de l’anglais)

Une profonde faiblesse de Naughty Dog vient de sa recette, resservie dans chaque jeu depuis le premier Uncharted, d’un jeu très scripté et cinématographique, avec une histoire linéaire dont on ne peut se déroger : où sont les choix du joueur ? Quel est l’intérêt de raconter une histoire en nuances de gris, si le joueur n’a aucun contrôle sur les choix des personnages ? Pourquoi nous montrer à ce point les deux points de vue, celai d’Ellie et celui d’Abby ; pourquoi nous faire nous attacher à ce point aux deux personnages, pour ensuite nous forcer la main et nous dicter les choix que nous devons faire pour elles ? À chaque fois qu’Ellie faisait le choix de blesser Abby, je n’avais tout simplement pas envie d’appuyer sur le bouton, car j’estimais que la vengeance d’Ellie était injustifiable. Lorsqu’arrivait le grand final du premier épisode, et la révélation qu’Ellie devait mourir pour que puisse être fabriqué le vaccin, n’importe quel joueur aurait fait le même choix que Joel : sacrifier l’humanité, et sauver la jeune fille à tout prix. Je n’ai pas hésité une seule seconde à appuyer sur la détente du revolver, car toute l’histoire convergeait vers ce moment. A contrario, The Last of Us Part II passe une majeure partie de son scénario à nous rendre détestables les motivations de son personnage principal, si bien qu’à la fin, on a simplement envie de lâcher la manette plutôt que de continuer à participer à cette mascarade.

Ellie est enfin libre de faire ses propres choix, mais tout comme son bon vieux père adoptif, elle a tendance à penser à court terme, et à faire passer avant tout le reste son propre instinct de vengeance et son envie d’être délivrée de la douleur qui la rouge, et ce quel qu’en soit le prix humain. Et elle entraîne le joueur dans sa chute, car vous n’avez pas d’autre choix que d’agir en meurtrier, quand bien même le jeu s’efforce constamment de vous rappeler combien c’est mal de tuer.

– Maddy Myers, « The Last of Us Part 2 review: We’re better than this », publié le 12 juin 2020 sur Polygon (traduit de l’anglais)

Enfin, à trop se concentrer sur ses personnages principaux, dont l’histoire ne fait pourtant que stagner, The Last of Us Part II laisse la désagréable impression que le plus intéressant se déroule ailleurs, dans ce qui ne nous est pas montré. La grossesse de Dina, la lutte entre deux factions que tout oppose à Seattle, l’héritage des Lucioles, le pouvoir exercé par Isaac : tous ces éléments sont relégués au second plan. En lieu et place, le jeu choisit de se concentrer sur des scènes d’une violence extrême, dont l’intérêt narratif laisse rapidement à désirer.

Un gameplay daté et une violence gratuite hors de propos

Quelques petites heures de jeu sur le deuxième opus suffisent pour s’en rendre compte : en matière de jouabilité, la formule de The Last of Us Part II n’a pas bougé d’un iota depuis l’épisode précédent. J’irais même plus loin en disant qu’elle n’a pas vraiment changé depuis la sortie du premier Uncharted en 2007. Ce deuxième « TLOU » reprend tout ce qui a constitué l’essence des œuvres du studio depuis plus d’une décennie, pour le meilleur comme pour le pire. Pour quelqu’un qui n’a jamais joué à un jeu Naughty Dog, la recette fera sans doute encore son effet ; pour les autres, on en arrive vite à l’écœurement. On devient las de devoir une fois de plus alterner des phases d’exploration (très) linéaires, jalonnées de quick time events au cours desquels l’un des deux protagonistes devra faire la courte échelle à l’autre pour lui dégager un chemin alternatif ; avec des phases de gunfights interminables, beaucoup trop nombreuses, qui seront tout autant de véritables boucheries à grands renforts de finish moves sanglants, dont on se demande s’ils sont bien nécessaires au propos du jeu. Comme Uncharted 4, The Last of Us Part II nous offre quelques zones un peu plus « ouvertes » que l’on est libre d’explorer à notre guise — mais rien de bien transcendant ou novateur ici, il s’agira simplement d’ouvrir quelques placards pour y trouver quelques artefacts et des items de survie ou de craft.

Le reste du jeu sera essentiellement cela : tuer, tuer, tuer. Tuer des infectés mais surtout (surtout !) tuer des êtres humains bien vivants, les tuer avec des armes de plus en plus violentes et ingénieuses, tuer gratuitement, tuer salement. Du meurtre en masse à n’en plus finir, jusqu’à l’épuisement — vers la moitié du jeu, j’ai changé le niveau de difficulté en « Très facile », afin de pouvoir écourter les innombrables séquences de tir en me contentant de courir vers la sortie sans tuer personne. La violence dans les jeux vidéo n’est pourtant pas un critère auquel je suis habituellement très sensible (j’ai plusieurs fois, sur ce blog, rappelé qu’on pouvait apprécier un jeu violent sans être ou devenir violent soi-même) ; mais ici, la violence est partout, tout le temps, et je suis véritablement arrivé à un stade de saturation.

Avant même la sortie du jeu, une bande-annonce (correspondant à une séquence se déroulant au milieu du jeu) avait frappé le public de par sa violence extrême. Certaines voix critiques s’étaient alors demandées si ladite violence constituait un argument marketing ou si elle servait véritablement le propos du jeu.

Alors oui, on pourrait me répondre que dans le contexte d’un monde post-apocalyptique, la violence sert le propos et nourrit l’histoire. Mais ce n’est pas le cas ici ! Car certaines morts que le jeu voudrait « marquantes » (celle de personnages principaux ou secondaires) en viennent à ne même plus nous affecter ou nous choquer, tant l’on a assisté à de véritables boucheries quelques secondes avant, sans que personne ne s’en émeuve ou ne se demande à quelle famille ou quels amants appartenaient les personnes que l’on vient de tuer de sang froid. De ce fait, la violence du jeu en devient contre-productive, même au sein de l’histoire que le jeu souhaite nous raconter. The Last of Us Part II, encore plus que son aîné, est un cas d’école de la « dissonnance ludonarrative » qui a plombé trop de jeux au cours ces dernières années : un grand écart entre le scénario qui nous martèle que tuer, c’est mal, et le gameplay qui nécessite de tuer des êtres humains.

J’estime que le jeu vidéo en tant qu’industrie gagnerait à s’émanciper du meurtre de masse comme mécanique de gameplay essentielle. Faites-moi affronter des zombies, des robots, des créatures mythologiques, des chimères, n’importe quel type d’ennemi ; mais réduisez la quantité d’ennemis humains à tuer de sang froid, surtout d’une manière aussi violente que dans ce jeu. À cet égard, bien d’autres titres à grand budget nous ont prouvé que l’on était capables de faire mieux : réduire la proportion de combats dans la jouabilité globale, proposer des alternatives non-violentes aux affrontements contre les ennemis, ou faire en sorte que les ennemis ne soient pas des humains mais plutôt des créatures fantastiques ou de science-fiction, réduisant ainsi significativement le dilemme moral posé par leur élimination. The Last of Us Part II ne pouvait-il pas équilibrer la balance, en nous faisant éliminer davantage d’infectés, et moins d’ennemis humains ?

D’autant plus que ce n’est pas comme si la jouabilité des combats était particulièrement agréable d’un point de vue ludique. Prenons God of War, par exemple, dont le système de combat repose sur des combos de touches assez ardus à maîtriser, des pouvoirs et capacités magiques, le tout contre des ennemis qui sont pour la plupart des créatures mythologiques. Pensons aussi à Horizon, et ses mille et unes armes toutes plus sophistiquées les unes que les autres, dont la plupart nous servira à éliminer des robots (bien davantage que des humains). Dans ces jeux, les affrontements reposent sur des mécaniques de jeux intéressantes. A contrario, dans The Last of Us Part II, les combats ne demandent aucune maîtrise : on ne fait rien d’intéressant, rien qui révolutionne le genre. On vise, on tire, on avance, sans véritable intérêt ludique. Le fait que l’on puisse crafter ses armes n’y changera pas grand chose, d’autant plus qu’on pouvait déjà le faire dans l’épisode précédent (et dans la plupart des jeux vidéo du même genre sortis ces dernières années) et qu’aucune nouveauté ne vient changer la donne. Alors si les affrontements ne servent ni la narration, ni la jouabilité, à qui profite le crime ?

En conclusion

Mon opinion ne semble pas être partagée par tous : au-delà des nombreux prix que le jeu a reçus, j’ai entendu beaucoup d’avis positifs sur cette suite, ne serait-ce que dans mon entourage proche. Et je peux comprendre pourquoi, car je suis moi-même le premier à reconnaitre que The Last of Us Part II, malgré ses défauts, comprend de nombreux moments de grâce (comme la séquence touchante où Ellie joue Take On Me à la guitare pour Dina). Sans même parler de son incroyable direction artistique et graphique, un domaine où Naughty Dog demeure, à ce jour, un maître incontestable.

Mais en ce qui me concerne, et bien que cela me peine de devoir le dire, The Last of Us Part II m’a fait l’effet d’une douche froide. Peut-être parce que le contexte autour de la sortie du jeu m’a conduit à le juger plus sévèrement ; peut-être parce que mes goûts ont changé depuis la sortie du premier opus ; peut-être parce que mes attentes par rapport à cette suite étaient biaisées dès le départ. Dans tous les cas, la recette n’a tout simplement pas pris. J’aurais aimé dire que The Last of Us II était un jeu à la hauteur de son prédécesseur. En l’état, je ne peux que dire cela : cela valait-il bien la peine d’épuiser à la tâche des dizaines d’employés pour arriver à un résultat aussi convenu ?

Alors qu’une nouvelle génération de consoles fait aujourd’hui son apparition, et tandis que The Last of Us Part II ne semble pas ouvrir la voie à une suite directe, il est selon moi temps pour Naughty Dog de renouveler ses têtes pensantes, et de songer à une nouvelle orientation à donner à ses jeux. Là où Naughty Dog me semblait auparavant un studio capable de changer la donne et de réhausser les standards de l’industrie tout entière, il m’apparait aujourd’hui qu’ils doivent faire preuve d’un peu d’humilité et réviser leur copie, s’ils espèrent demeurer une référence au panthéon vidéoludique.

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