Le plus émouvant des jeux narratifs ? Mon avis sur Life is Strange: True Colors

Image du jeu vidéo narratif Life is Strange: True Colors

Après avoir ému et remué l’univers du jeu vidéo avec deux saisons numérotées ainsi qu’une préquelle, sorties entre 2015 et 2019, la série Life is Strange en est déjà à son quatrième volet avec True Colors, un jeu vidéo narratif paru en septembre 2021. Ce dernier reprend la formule ayant fait le succès des opus antérieurs : un décor bucolique, une bande-son folklorique et des protagonistes adolescents, confrontés à des facultés surnaturelles, mais surtout à des émotions bien réelles. Ce nouvel opus se distingue toutefois de ses prédécesseurs, à deux égards au moins. D’abord, il abandonne le format épisodique que les saisons précédentes avaient amorcé : nous avons donc ici droit à l’histoire complète, et non à plusieurs chapitres publiés à quelques mois d’intervalle. Ensuite, parce qu’en lieu et place du studio français Dontnod Entertainment, ce sont cette fois les développeurs canadiens de Deck Nine (déjà à l’origine du spin-off Life is Strange: Before the Storm) qui sont à l’ouvrage. Ces écarts à la recette originale affectent-ils la qualité du titre ? Le jeu est-il à la hauteur des épisodes précédents ? Découvrez mon avis et mon analyse dans ce test de Life is Strange : True Colors !

Life is Strange: True Colors, Alex Chen et la couleur des sentiments

En tant que jeux vidéo narratifs, la série Life is Strange nous a habitués à des protagonistes charismatiques aux dons particuliers — généralement des adolescents ou de jeunes adultes, qui ont en commun de se sentir « à part » dans le monde qui les entoure. Ainsi, la première saison nous place dans la peau de la jeune Max Caulfield, une étudiante mordue de photographie qui peine à se faire une place parmi les ados stars du lycée. Life is Strange 2 nous fait suivre deux frères, Sean et Daniel, devenus parias de la société à la suite d’un accident tragique. Quant à la préquelle LiS Before The Storm, elle nous permet d’incarner Chloe Price, une gamine rebelle à la langue trop bien pendue pour son âge. Chacun de ces personnages, à des degrés plus ou moins différents, se trouve acteur ou témoin d’événements surnaturels : voyage dans le temps, télékinésie… Mais pas de superpouvoirs à la Marvel pour autant : plutôt que des dons, ces facultés se révèlent des fardeaux venant bouleverser le quotidien de ces jeunes adultes, et exacerber les difficultés qu’ils rencontraient déjà.

À ce titre, LiS True Colors coche bien toutes les cases avec sa protagoniste : Alex Chen, une adolescente au passé tumultueux, orpheline de sa mère et abandonnée par son père, puis baladée de foyer en foyer par la suite. Comme si ce passé douloureux ne suffisait pas, Alex est née avec un pouvoir qui constitue davantage un handicap qu’un cadeau de la vie. Ce pouvoir, c’est la faculté de lire les émotions des autres : une empathie exacerbée, qui lui permet d’entrevoir l’aura qui émane des personnes qui l’entourent — rouge pour la colère, bleue pour la tristesse… Cette hypersensibilité s’avère très complexe à gérer, car elle contraint Alex à transposer les sentiments d’autrui sur les siens. Lorsque le jeu commence, c’est une Alex Chen presque adulte qui arrive dans la ville de Haven Springs, déterminée à tirer un trait sur son passé. C’est ici que vit son frère Gabe, dont elle a été séparée pendant des années. Alors que la vie lui réserve encore quelques surprises, Alex parviendra-t-elle (enfin) à trouver sa place ? Ce sont vos choix qui en décideront.

Images des personnages du jeu vidéo Life is Strange : True Colors
Alex Chen (au centre) entend donner un nouveau départ à sa vie, aux côtés de son frère Gabe (à droite) et de rencontres inédites, comme Ryan (à gauche).

Brillamment interprétée par l’actrice Erika Mori, Alex Chen parvient sans aucun mal à nous inspirer… L’empathie. Elle se place aussitôt parmi les héroïnes les plus emblématiques de la série, tant elle est écrite avec subtilité et doublée avec la même justesse de ton (à noter que le jeu propose également un doublage en français – une première dans la série – que je n’ai toutefois pas testé). Dans la première saison, Max Caulfield avait peut-être tendance à trop s’effacer derrière le caractère flamboyant de Chloe Price. Ici, Alex Chen brille par elle-même. Les pensées intérieures qu’elle nous livre sont autant de traits d’humour bien sentis, tandis que la personnalité et la répartie dont elle fait preuve la rendent très attachante. On apprécie de voir une héroïne (aux origines asiatiques, ce qui constitue un soi un mini-événement, tant le jeu vidéo demeure frileux à placer en tête d’affiche d’autres figures que des héros blancs et masculins) si bien narrée et tout en nuances — True Colors porte ainsi très bien son nom.

Son passé houleux nous est raconté habilement, sans tomber dans le pathos, et le scénario retranscrit très bien la manière dont son pouvoir d’empathie peut se révéler lourd de conséquences. Ce dernier compose une fonctionnalité de gameplay, tout comme le voyage dans le temps formait le cœur de la jouabilité de Max Caulfield dans la saison 1. On peut ainsi analyser l’énergie qui entoure certains objets, lire les pensées des gens que l’on rencontre, et les aider ce faisant à résoudre leurs conflits intérieurs… En s’y cassant parfois les dents. Si l’on regrette que ce pouvoir ne soit disponible qu’au bon vouloir des scénaristes et des développeurs (il n’est possible de l’utiliser que sur quelques personnages, et à des moments bien précis), celui-ci constitue un moyen intelligent de nous faire découvrir, aux côtés d’Alex, la ville de Haven Springs et l’ensemble de ses habitants hauts en… Couleur.

Haven Springs : à mon avis l’un des plus beaux décors de jeux vidéo

Life is Strange et sa préquelle Before the Storm se déroulaient dans la ville inventée d’Arcadia Bay, dans l’Oregon. Une petite bourgade entre mer paisible et forêts montagneuses, qui constituait un personnage à part entière de l’aventure. Life is Strange 2 optait pour une approche différente, sous la forme d’un road trip qui ne nous laissait par conséquent pas le temps de nous attacher aux lieux traversés. Dans True Colors, Deck Nine prend le parti de revenir aux sources, en proposant à nouveau une unité de lieu dans une ville fictive ; en l’occurrence Haven Springs, dans le Colorado. Un choix qui n’est pas tout à fait anodin — et je ne dis pas cela car il y a « Color » dans « Colorado », mais parce que c’est dans cet état que sont basés les développeurs de Deck Nine, qui se sont inspirés de la véritable ville de Idaho Springs.

Le résultat est largement à la hauteur de l’héritage d’Arcadia Bay : Haven Springs figure parmi les décors les plus agréables qu’il m’ait été donné de voir dans un jeu vidéo. Sublimée par des graphismes très convaincants, ainsi que par une direction artistique maîtrisée, cette ville nous dépayse et nous réconforte autant qu’elle nous intrigue. La plupart des cinq chapitres qui composent le jeu nous demandent de nous promener dans la rue principale de la bourgade, et d’aller de commerce en commerce pour échanger avec ses habitants. Rapidement, l’immersion et l’attachement s’invitent au rendez-vous, en nous offrant le sentiment d’être devenu un acteur à part entière de cette charmante communauté.

Image de la ville de Haven Springs dans le jeu vidéo Life is Strange : True Colors
La rue principale de Haven Springs, véritable hub central de LiS True Colors, est un décor si agréable à parcourir que l’on regrette que le jeu ne nous permette pas d’explorer les autres quartiers de la ville.

Et comme la narration environnementale est une composante essentielle de Life is Strange, ce décor bucolique ne demeure pas qu’une banale toile de fond. « Haven », telle que la surnomment ses habitants, est une ville dont l’économie tout entière repose sur l’exploitation minière des montagnes avoisinantes. On découvre que Typhon, la multinationale qui détient ces galeries souterraines, joue un rôle crucial dans l’histoire et la politique de cette ville en apparence paisible (« haven » signifie « havre ») mais qui renferme de lourds secrets, que le jeu nous révèle au fur et à mesure. Ce décor se dévoile bien vite comme un univers aux multiples récits, habité par des personnages attachants et complexes, qui sont autant d’occasions d’exercer le pouvoir d’empathie d’Alex.

Eux aussi subtilement écrits, ces protagonistes comportent tous leur part d’ombre et de lumière. Ils permettent d’aborder différents sujets rarement vus dans le jeu vidéo : le rapport à la maternité, à la maladie, au deuil… Une maturité et une justesse dans le propos qui ont fait la réputation de Life is Strange, et auxquelles cet épisode fait honneur avec brio. On se surprend, en tant que joueur, à ressentir de l’empathie – réelle, cette fois – pour ces protagonistes, voire à continuer de songer à eux une fois le jeu terminé. D’autant plus que dans la lignée des opus précédents, LiS True Colors entend bien titiller nos consciences, en nous plaçant face à de terribles dilemmes.

Un jeu vidéo narratif où des petits choix ont des petites conséquences

Life is Strange n’a pas inventé les « jeux vidéo à choix multiple », ou jeux vidéo narratifs, popularisés par des titres comme Heavy Rain en 2008 ou par les productions de (feu) Telltale Games, The Walking Dead en tête. Mais lorsque Life is Strange est sorti en 2015, ce dernier avait su renouveler le genre en introduisant, nous l’avons dit, des thématiques plus adultes, ainsi que la mécanique du retour dans le temps. En effet, dans la plupart des jeux de ce type, les décisions que nous prenons sont faites dans l’urgence ou dans l’angoisse, face à l’imminence d’un danger. Nos choix relèvent donc plutôt de la réaction que de la réflexion.

Mais Life is Strange nous offrait un luxe inédit : la possibilité d’observer les conséquences directes de nos actions, puis de rembobiner aussitôt pour opérer le choix inverse en cas de remords. Il n’y avait toutefois jamais de solution idéale, ce qui posait au joueur de sérieux cas de conscience, en l’obligeant à assumer pleinement l’impact de ses décisions. Le poids des responsabilités était donc d’autant plus grand. Dans True Colors, comme dans les autres opus de la série depuis la première saison, il n’est évidemment pas question de voyage dans le temps, ce pouvoir étant réservé à Max Caulfield. Mais cet opus parvient pourtant lui aussi, à sa manière, à proposer quelque chose d’intéressant et d’original dans sa façon de concevoir les choix et les conséquences.

Image du jeu vidéo Life is Strange : True Colors
Vous connaissez la formule : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, et le don d’empathie d’Alex Chen ne déroge pas à la règle.

Dans certains jeux narratifs récents, comme la série The Dark Pictures Anthology par exemple, les choix que nous faisons ont des conséquences très lourdes, puisqu’ils peuvent carrément signer l’arrêt de mort des personnages ! Rien de tout cela dans LiS True Colors. Et c’est tant mieux. Car c’est plus réaliste, tout simplement. Comme dans la « vraie vie », vous ne passez pas votre temps à gérer des problèmes de vie ou de mort. Les décisions que vous prenez sont plus subtiles. Ferez-vous preuve de fermeté ou de compassion face à tel personnage ? Déciderez-vous d’apaiser les démons intérieurs de tel autre protagoniste, ou de le laisser ruminer ses regrets ?

Et comme dans la vraie vie, ces petites décisions entraînent de petites conséquences… Mais un fort impact émotionnel. Car il est nettement plus blessant de voir un personnage auquel vous étiez attaché vous tourner le dos parce que vous l’avez déçu ; que de voir un personnage caricatural mourir parce que vous avez appuyé sur A et non sur B. Si aucun des choix proposés par cet opus n’atteint l’ampleur dramatique du dilemme final de la première saison de Life is Strange, ils se révèlent donc malgré tout cornéliens. L’écriture étant le vrai point fort de cet épisode, l’attachement aux héros de l’aventure est bien réel – le pouvoir d’empathie d’Alex nous engage naturellement dans cette voie – et l’envie de satisfaire tout le monde est aussi présente que son exécution s’avère impossible.

Mon test de Life is Strange: True Colors : un jeu vidéo narratif dans la lignée de ses prédécesseurs

Alors, quel est mon avis sur Life is Strange: True Colors ? Si vous me lisez depuis quelque temps, vous devez savoir combien j’aime Life is Strange. Et malgré leurs qualités, Before the Storm et Life is Strange 2 n’avaient à mon sens pas réussi à égaler cette première saison. Qu’en est-il de ce nouvel opus ?  De prime abord, il pourrait sembler que le jeu se contente simplement de copier ses modèles. Sur certains aspects, il est vrai que l’on sent les équipes de Deck Nine encore un tantinet trop timides pour s’émanciper pleinement de l’héritage de Dontnod Entertainment.

Bien que le jeu abandonne le format épisodique, il demeure découpé en cinq chapitres (comme ses aînés) et sa structure narrative comprend les mêmes points de rupture que la première saison de Life is Strange (un point qui s’avère flagrant au moment du cliffhanger final de l’épisode 4, ou lors du début de l’épisode 5, qui comprend une séquence introspective évoquant un passage similaire de la première saison). Un bon nombre des personnages du jeu répondent aussi à des archétypes préalablement établis dans la série : Steph nous rappelle Chloe, tandis que Ryan est une sorte de « Warren 2.0 », pour ne citer qu’eux.

Image des personnages Alex Chen et Steph Gingrich dans Life is Strange : True Colors
Le personnage de Steph apparaissait déjà dans le jeu vidéo narratif LiS Before the Storm (2017). Elle crève l’écran ici en se révélant un personnage attachant et charismatique — elle est d’ailleurs l’héroïne du DLC Wavelenghts dont l’écriture est très réussie.

Pourtant, si ces similitudes assumées nous contraignent toujours à jouer le jeu des comparaisons, Deck Nine a su développer beaucoup d’originalité — et même du mieux sous de nombreux aspects. Premièrement, la partie technique est beaucoup plus convaincante, avec des graphismes très détaillés et des expressions faciales bien moins figées que par le passé, grâce à une performance capture techniquement maîtrisée et à des comédiens tous très éloquents. Deuxièmement, la bande-son se révèle ici l’une des meilleures que la série nous ait proposées. Elle mêle, comme à l’accoutumée, des chansons pop et folk allant de Dido à Agnes Obel, ainsi que des compositions originales par les artistes indépendants Angus & Julia Stone, Novo Amor et mxmtoon. Certaines d’entre elles tournent déjà en boucle dans ma playlist, se hissant largement à la hauteur des compositions de Syd Matters ou de Daughter dans les saisons précédentes.

Enfin, et c’est sa plus grande force, True Colors peut compter sur une écriture subtile, et sur une héroïne plus charismatique que jamais. L’histoire racontée par cet épisode vaut le détour à elle seule : elle nous embarque lentement mais sûrement au fil de ses cinq chapitres (plus un épisode bonus intitulé Wavelenghts), et demeure avec nous une fois l’aventure terminée. S’il ne constitue ni une révolution ni une révélation, True Colors est un ajout solide à la série, qui sait voler de ses propres ailes et briller par sa propre personnalité. Je le conseille aux amateurs de la franchise comme aux nouveaux venus, qui tomberont sans nul doute sous le charme d’Alex Chen et de ses « vraies couleurs ».

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