Little Big Adventure : une série en avance sur son temps

Image du jeu Little Big Adventure 2

Toujours confiné (en tout cas au moment de tourner cette vidéo), j’ai ressorti de mon placard deux chefs d’oeuvre méconnus — l’oeuvre du Français Frédérick Raynal : les deux épisodes de Little Big Adventure (sortis sur PC en 1994 et 1997). J’ai eu envie de vous les raconter et de vous les faire (re)découvrir, et d’expliquer pourquoi ils m’ont marqué, autant qu’ils ont marqué l’histoire du jeu vidéo. Et parce que derrière LBA se cachent d’autres jeux, comme Alone in the Dark ou encore Beyond Good and Evil, c’est toute l’exception française, toute la « French Touch » qu’il convient de saluer, avec sa capacité à inventer, et à réinventer, le jeu vidéo.

Mon analyse en vidéo de Little Big Adventure (LBA) 1 & 2

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Retranscription de la vidéo

Introduction

Pouvez-vous m’aider à soigner mon Dino-Fly qui s’est blessé ?

Si cette phrase génére en vous du PTSD, ou comme on le dit en bon français du stress post-traumatique, c’est que vous avez bon goût, car vous avez déjà joué au jeu Little Big Adventure 2, sorti en 1997 sur PC. Et dans ce cas, je vous conseille de regarder cette vidéo jusqu’au bout, car elle va sans doute vous rappeler des souvenirs.

Si en revanche cette phrase ne vous dit rien, c’est que vous n’avez pas eu la chance de jouer à ce jeu… Et dans ce cas, je vous conseille quand même de regarder cette vidéo jusqu’au bout, car vous pourriez bien en apprendre pas mal sur un jeu méconnu, mais qui mérite d’être connu, justement.

Bienvenue dans la deuxième vidéo sur ma chaîne ! En préambule, je tenais à tous vous remercier pour l’accueil très généreux que vous avez fait à ma première vidéo. Et ça m’a donc donné envie de continuer à faire des vidéos sur cette chaîne où je vais vous parler des jeux qui me plaisent.

Pour cette deuxième vidéo, j’ai voulu varier un peu le format, je ne vais pas vous parler d’un jeu récent, mais d’un jeu très ancien. En effet, LBA 2, comme beaucoup de jeux qui me passionnent et auxquels j’ai un attachement, c’est un jeu que j’ai découvert dans mon enfance, auquel je jouais avec ma sœur, avec ma tante… Et j’ai baptisé ce format de vidéo « HIDDEN GEM », j’en ferai peut-être plusieurs, je ne sais pas. L’idée, c’est de vous présenter des « pépites » un peu méconnues, des jeux qui, à leur époque, n’ont pas forcément eu le succès qu’ils méritaient, ou qui sont passés un peu inaperçus. En tout cas, des jeux où, quand j’en parle, tout le monde me dit : « Hein ? J’ai jamais entendu parler de ce jeu… ».

Petite parenthèse : vous remarquerez que contrairement à ma vidéo précédente, j’ai enlevé les AirPods de mes oreilles. Je vous avais fait tout un cinéma là-dessus lors de ma dernière vidéo en disant « Oui, je les ai mis comme ça j’espère que le son sera meilleur ! » En fait, plot twist, je me suis rendu compte que quand on filme avec l’iPhone, le son n’est absolument pas enregistré via les AirPods. Donc, comme c’est toujours le confinement et que je n’ai pas la possibilité d’aller m’acheter un micro, eh bien on va continuer à parler comme ça avec le micro de l’iPhone.

Ah oui, autre chose qui a changé par rapport à ma précédente vidéo : je me suis coupé les cheveux et tondu la barbe (pour des résultats un peu approximatifs, je le reconnais) (Vous voyez là, par exemple, il faut que je repasse un coup de tondeuse parce que c’est pas égalisé) Mais on est toujours en confinement, donc si vous êtes capable de couper les cheveux mieux que ça… Tant mieux pour vous, mais moi c’est pas mon cas. Et puis attendez de voir la coupe des cheveux des personnages du jeu dont on va parler aujourd’hui, et vous verrez que les miens sont pas si pires que ça.

Historique & développement : de Alone in the Dark à Adeline Software International

Alors donc, Little Big Adventure, c’est quoi ? Eh bien, avant de rentrer dans le vif du sujet, un peu d’historique. 

Derrière LBA, puisque c’est ainsi qu’on abrègera Little Big Adventure, il y a le studio français Adeline Software International — eh oui, cocorico ! Ce studio est composé d’anciens de chez Infogrames, qui était un développeur français. Parmi ses membres, il y a Frédérick Raynal. Retenez bien son nom, parce qu’on va parler de lui plusieurs fois au cours de la vidéo.

Chez Infogrames, une équipe menée par Frédérick Raynal va créer Alone in the Dark en 1992. C’était un jeu qui s’inspirait très fortement de l’univers de H.P. Lovecraft, le fameux écrivain du genre horrifique. À l’époque, personne ne le sait, et aujourd’hui encore il y a peu de gens qui le savent, mais c’est un jeu qui va créer un genre à part entière : le survival horror. Eh oui, si c’est bel et bien la série japonaise Resident Evil, ou Biohazard telle qu’on la connait au Japon, qui a popularisé et démocratisé le genre du survival horror dans le monde entier en 1996, c’est le jeu français Alone in the Dark – eh oui, cocorico ! – qui a inventé le genre du survival horror. Et on voit très bien que le jeu Resident Evil s’est inspiré de ce jeu, puisqu’on retrouve les mêmes décors en 3D précalculée, on retrouve le même manoir avec des énigmes à résoudre et des monstres à affronter…

Et donc, après Alone in the Dark, Frédérick Raynal et quelques autres membres de chez Infogrames vont fonder le studio Adeline Software International. Et là-bas, ils développeront plusieurs jeux, parmi lesquels Little Big Adventure 1 et Little Big Adventure 2 — qui sortiront respectivement en 1994 et 1997.

Et donc, me demanderez-vous – et même si vous ne me le demandez pas, je répondrai quand même à la question, parce que c’est ma vidéo – qu’est-ce que c’est que LBA ?

Gameplay et bande-son : qu’est-ce que Little Big Adventure ?

Eh bien, tout d’abord, c’était des mécaniques de gameplay originales et inédites. Je pense que ça a un peu vieilli, et qu’un joueur qui découvrirait ça aujourd’hui dirait « Mais je n’arrive pas à le prendre en main, c’est trop compliqué ! » Mais pour l’époque, c’était vraiment révolutionnaire.

Ce système, c’était un système qui reposait sur le principe de modes. Il y avait en fait quatre modes, dans lesquels vous pouviez contrôler Twinsen, et en fonction du mode que vous choisissiez, les commandes de Twinsen et sa manière d’agir dans son environnement étaient différentes. Donc en mode Normal vous pouviez parler avec les habitants, interagir avec des objets. En mode Sportif, vous pouviez courir, vous pouviez sauter. En mode Agressif, Twinsen se mettait en position de combat. En mode Discret, Twinsen se déplaçait discrètement en ne faisant pas de bruit et en marchant à pas de loup.

LBA, c’est aussi une bande-son iconique. Je vous l’ai dit dans ma vidéo précédente : je suis absolument un soundtrack geek, j’adore écouter des bandes-son de jeu vidéo. La bande-son de Little Big Adventure est clairement ancrée dans les années 1990, tout a été fait au synthétiseur ; et en même temps, il fait aussi partie de ces jeux qui ont été les premiers à utiliser une bande-son véritablement orchestrale, avec un thème principal absolument épique et iconique, qu’il suffit d’écouter pour se trouver plongé dans une vague d’aventure et de nostalgie, et des thèmes secondaires qui viennent rythmer la narration. Je dirais que la musique de LBA joue au moins à 50 % dans l’immersion dans l’univers du jeu.

L’autre proposition originale de LBA, c’était que vous viviez une « petite grosse aventure », pour traduire littéralement le titre, dans un monde vaste, dans un monde ouvert. Ce monde, c’était – en tout cas dans LBA 1 et au début de LBA 2 – la planète Twinsun. Sur cette planète existent quatre races d’êtres vivants : la première, c’est les Quetchs ; la deuxième race, ce sont les Lapichons, qui sont en quelque sorte des lapins anthropomorphes. Vous avez aussi les Bouboules qui sont des petits êtres en forme de… Boule. Et enfin, vous avez les Grobos qui sont des personnages à tête d’éléphant. Alors j’ai bien conscience que ces quatre races sonnent comme une grosse blague, surtout quand on le raconte comme ça, mais il faut bien se dire qu’en fait c’est un jeu, LBA, qui n’a pas peur de ne pas se prendre trop au sérieux, et qui est en fait d’une inventivité folle, et qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de cette inventivité, jusqu’au bout de cette proposition qui est complètement basée sur l’imaginaire. Mais le pire, c’est que ça marche très bien, parce qu’en fait le jeu est tellement immersif qu’on ne se pose même pas la question « Attends, où est-ce qu’ils ont été chercher tout ça ? ».

Attention, on arrive dans la partie de la vidéo où je vous spoile ! Pour que vous compreniez mon propos et que je vous explique un peu tout ce que j’ai envie de vous dire sur LBA, il faut que vous en connaissiez l’histoire. Et puis d’un autre côté, désolé, mais le jeu est sorti en 1997, donc je pense que j’ai prescription pour vous le spoiler. Si vous aviez voulu le découvrir, vous aviez plus de vingt ans pour le faire !

Résumé du scénario : l’histoire de Little Big Adventure

Alors LBA 1, ça se passe donc sur la planète Twinsun, où nos quatre races vivent en paix et en harmonie, et où l’équilibre du monde est préservé par une entité divine appelée « Sendell », qui habite au centre de la planète.

Tout ça, c’était avant l’arrivée d’un dictateur du nom de Docteur FunFrock, un spécialiste du clonage et de la téléportation. Celui-ci a installé son pouvoir sur toute la planète, avec des forces de clones armées qui dissuadent toute forme de résistance, un culte de la personnalité avec des statues à son effigie, et une propagande d’État avec des affiches rappelant les préceptes du régime.

FunFrock a fait évacuer tout l’hémisphère nord de la planète en invoquant que le climat y serait devenu invivable et toxique, et que des monstres auraient commencé à y apparaitre. La vérité, c’est qu’il compte mettre en place dans tout l’hémisphère nord un système de forage aux proportions dantesques, pour creuser jusqu’au noyau du monde, et y capter l’énergie divine des Sendell, afin de devenir un être surpuissant. 

Dans cette histoire, un jeune héros appelé Twinsen, dont le destin semble inexorablement lié à celui de sa planète Twinsun, fait chaque nuit des rêves dans lesquels la planète explose. Pour cela, on le juge comme une menace pour le système dictatorial en place. En effet, la propagande de FunFrock a prohibé toute mention à la légende des Sendell, pour enterrer de manière définitive toute croyance en la magie, et mieux asseoir sa propre autorité.

Twinsen commence donc le jeu enfermé dans un asile psychiatrique dont il doit s’échapper. Il y parvient, et chez lui, il retrouve Zoé, sa chère et tendre compagne. Mais les autorités frappent vite à la porte ! Zoé dit à son mari de se cacher (ce qu’il fait) et pas de bol, c’est donc Zoé qui est arrêtée pour complicité d’évasion. L’une des missions principales de Twinsen est alors de retrouver sa femme.

Oui, bon, ça c’est la partie un peu cliché : Zoé est une demoiselle en détresse dans LBA. Et en plus, elle porte une robe rose, oui, c’est très original, mais bon, il ne faut pas oublier qu’on est dans les années 90, que les personnages féminins dans les jeux vidéo sont encore rares, que Lara Croft n’existe pas encore mais que la princesse Peach existe bel et bien… Zoé a au moins le mérite, contrairement à cette dernière, d’avoir des lignes de dialogue et une personnalité, c’est déjà ça ! Et puis surtout dans le deuxième épisode, alors qu’elle est enceinte jusqu’aux dents, c’est bel et bien elle qui va réparer la voiture de son bon à rien de mari, avec ses petits bras et ses petits outils. Et pendant ce temps-là, Twinsen, le mec, il fait quoi ? Eh bien il se pavane en tunique bleue, avec un pendentif et les cheveux longs — donc franchement, niveau stéréotypes de genre, je pense qu’on a vu pire dans le jeu vidéo.

Revenons en à notre histoire : peu de temps après l’arrestation de Zoé, Twinsen comprend qu’il est le descendant d’une lignée de protecteurs de la planète Twinsun, et que ses rêves prémonitoires sont un appel des Sendell. Twinsen rejoint un groupe de résistants au régime dictatorial de FunFrock, et parcourt l’ensemble de sa planète pour récupérer des objets magiques liés au pouvoir des Sendell.

Armé de leur magie ancestrale, il parvient à contrecarrer les plans de FunFrock et de ses différents clones. Et surtout, il retrouve sa compagne, Zoé. Et vous savez très bien ce que font de jeunes amants pour célébrer leurs retrouvailles ! Bon ok, ça on ne le voit pas, mais n’empêche que dans LBA 2, Zoé est enceinte donc excusez-moi, mais à moins d’être la vierge Marie…

Résumé du scénario : l’histoire de Little Big Adventure 2

Au début de LBA 2, donc, Zoé est enceinte, et la planète Twinsun vit dans la paix et l’équilibre depuis la défaite de FunFrock. 

Mais un orage se profile à l’horizon, et le Dino-Fly, qui est en quelque sorte l’animal de compagnie de Twinsen, se fait foudroyer au cours de la tempête ; il faut donc trouver un moyen de le soigner. Ce petit objectif de rien du tout en entraîne rapidement bien d’autres…

Car voilà que des Martiens débarquent à bord de soucoupes volantes. Sauf qu’on appelle pas ça des Martiens, puisque ce sont des habitants d’une lointaine planète appelée « Zeelich ». Ces Zeelichiens commencent à s’installer un peu partout sur Twinsun, et deviennent un véritable sujet de curiosité. Bien qu’ils disent venir en paix, personne ne sait trop quoi penser d’eux, et il faut bien dire qu’ils ont l’air un peu louches.

D’autant plus que depuis leur arrivée, les mages de la planète Twinsun disparaissent les uns après les autres. Twinsen enquête donc sur ces disparitions. Ceci finit par le mener jusqu’à la planète voisine : la Lune d’Émeraude. Là, il découvre que les Zeelichiens ont installé une base top secrète.

Il y fait la rencontre de deux prisonniers, qui lui racontent la prophétie suivante : la planète Zeelich était autrefois un véritable paradis, jusqu’à ce qu’un cataclysme la recouvre d’une couche de gaz toxique, d’où naissent des monstres terrifiants et dangereux. Selon la légende, le jour viendra où un dieu du nom de Dark Monk se réincarnera, pour redonner à Zeelich son aspect paradisiaque d’origine. Tous les Zeelichiens attendent donc son retour avec impatience, et gardent foi en leur dieu salvateur.

Or, les prisonniers expliquent à Twinsen que Dark Monk vient enfin de se réincarner, et qu’il s’est associé à l’Empereur de Zeelich. Ensemble, ils ont décrété que la seule manière de rendre à leur monde sa beauté originelle, était de détruire la planète Twinsun ! Pour cela, ils ont prévu de faire entrer en collision la planète Twinsun et la Lune d’Émeraude, à l’aide d’un réacteur surpuissant installé sur cette dernière. Pour empêcher cela, Twinsen se rend sur la planète Zeelich, où se trouve le système de contrôle à distance de ce fameux réacteur.

De péripétie en péripétie, il finit par rencontrer l’Empereur de Zeelich : un dictateur corrompu et avide de pouvoir. Celui-ci lui révèle que le retour du dieu Dark Monk n’est qu’une supercherie : sous le masque du dieu se cache en fait un imposteur. Twinsen élimine l’Empereur, mais avant qu’il ne meure, ce dernier active le réacteur de la Lune d’Émeraude, enclenchant alors une course contre la montre.

Twinsen se rend ensuite au temple à l’effigie de Dark Monk, où le dieu est censé faire une ultime apparition. À l’arrivée de Twinsen, Dark Monk retire son masque et se révèle sous les traits de… FunFrock, le méchant de LBA 1.

Profitant de la crédulité des Zeelichiens à l’égard de leur prophétie, FunFrock s’est associé à l’Empereur pour manipuler le peuple de Zeelich. Sous les traits de Dark Monk, il leur a ordonné d’enlever les mages de Twinsun, pour exploiter leur magie, et construire sur Zeelich une machine capable de capter à distance l’énergie des Sendell. Pour rappel, les Sendell c’est donc la divinité qui vit au coeur de la planète Twinsun, que FunFrock convoite plus que tout. Ainsi, au moment où la Lune d’Émeraude entrera en collision avec Twinsun, la magie des Sendell se libèrera, et FunFrock pourra, à l’aide de sa machine, s’emparer du pouvoir qu’il convoite tant.

Twinsen parvient à vaincre FunFrock, et à retourner sur Twinsun, juste à temps pour empêcher la collision avec la Lune d’Emeraude. Le jeu se termine avec une cérémonie de célébration entre Twinsuniens et Zeelichiens, et avec la naissance du fils de Twinsen.

Univers et thématiques : un jeu vidéo politique et engagé

Vous l’aurez donc sans doute remarqué en écoutant ce résumé, ce qui faisait l’une des grandes forces de LBA, et de LBA 2, à l’épqoue, c’était qu’ils traitaient de thèmes assez inédits dans le jeu vidéo. Ce sont des thèmes comme :

  • la dictature, avec dans le premier épisode, la figure de l’Empereur FunFrock, ou l’épisode 2 qui nous montre également une dictature sur la planète Zeelich ;
  • la religion et le fanatisme religieux dans LBA 2 avec la figure de Dark Monk, et cette prophétie d’un monde meilleur qui est dans toutes les bouches et qui semble guider les actions de chaque habitant de cette planète ;
  • mais aussi la propagande et la manipulation des masses, avec dans l’épisode 1 des affiches et des statues à la gloire du dictateur FunFrock, et dans l’épisode 2, cette histoire qui tourne autour de la manipulation des habitants de Zeelich, par l’Empereur et par FunFrock, qui réhabilitent une ancienne prophétie en la détournant pour manipuler les esprits des habitants de la planète et asseoir leur pouvoir.

À ma connaissance, ce sont des thèmes qui sont assez novateurs pour l’époque. Je n’ai pas beaucoup d’exemples de jeux qui traitent de thèmes similaires. De ce que je connais, je dirais qu’à la même époque, il n’y a vraiment que la série Final Fantasy qui avait à peu près la même richesse. Je pense notamment, puisque c’est un peu dans l’actualité avec la sortie d’un remake de ce jeu il y a quelques semaines, à Final Fantasy VII, qui lui aussi se déroulait dans un monde qu’on pouvait qualifier de dictatorial, avec cette même idée, un petit peu écologique et un peu en avance sur son temps, que la planète comportait des ressources d’une grande puissance, mais qui étaient très précieuses et très rares et qu’il fallait donc les préserver.

Et surtout, ce qui fait la force de Little Big Adventure, et sa particularité, c’est qu’il traite de thèmes assez matures, assez sombres, assez sérieux, mais avec une grande légèreté dans la forme. C’est ce que je disais tout à l’heure avec ces races qui s’appellent les Quetschs, les Lapichons… Mais c’est aussi ce qu’on peut constater quand on voit les graphismes du jeu, avec ces personnages très cartoonesques, presque caricaturaux, ces énormes yeux, ces expressions faciales démesurées, avec beaucoup d’humour aussi, beaucoup de blagues dans l’univers. Et en même temps, voilà : on parle quand même de dictature, on parle quand même de manipulation des masses, on parle quand même de religion… Et on le fait très bien, parce que, vous l’avez vu quand j’ai raconté l’histoire, il y a vraiment une grande profondeur dans le propos.

Et il y a un vrai message, presque un engagement politique derrière. Je parlais tout à l’heure de considérations un peu écologiques : on retrouve un peu de ça dans les deux Little Big Adventure. Par ailleurs, et c’est flagrant quand on le regarde et quand on l’écoute, le dictateur FunFrock est très fortement inspiré par Jean-Marie Le Pen. On retrouve les mêmes traits du visage, et même la même prononciation, la même signature vocale… Ce qui quand même peut paraître un peu désuet aujourd’hui, puisque Jean-Marie Le Pen est un peu sorti du paysage public (et on ne s’en porte pas plus mal) mais pour l’époque c’était quand même un propos politique assez fort, et c’était là aussi quelque chose qu’on n’avait jamais vu dans le jeu vidéo. Je ne dirais pas pour autant que Little Big Adventure est un jeu militant, puisque je pense qu’il n’a pas cette prétention-là, mais n’empêche que c’est une profondeur dans le propos qui fait quand même un peu figure d’exception.

Héritage et postérité : Beyond Good & Evil, les open-worlds et la French Touch

En ce sens, Little Big Adventure me fait penser à un autre jeu dont il se trouve que c’est aussi un jeu français – eh oui, cocorico ! – non pas créé par Frédérick Raynal, mais par un autre génie du jeu vidéo français, qui s’appelle Michel Ancel. On lui doit bien sûr la franchise Rayman, mais il a également créé un jeu qu’on pourrait qualifier de « HIDDEN GEM », de pépite un peu méconnue : Beyond Good & Evil. C’est un jeu qui lui aussi représentait une dictature sur une planète fictive, avec également une grande profondeur dans le fond, puisqu’il y avait un véritable propos sur ce qu’était la dictature, avec la manipulation des médias, la censure des journalistes… Mais là aussi, avec une grande légèreté dans la forme, avec des graphismes qui tiennent plutôt du film d’animation ou de la bande dessinée que d’une volonté de photoréalisme, et avec des personnages dont on pourrait aussi se dire « ouhla, où est-ce qu’ils ont été chercher tout ça, what the fuck?« , comme Pey’j, qui est l’oncle de Jade mais qui a une tête de cochon. Mais voilà, j’évoquais le film d’animation et c’est à dessein que j’évoque ça, parce que comme dans un film d’animation, en fait, ce n’est pas parce que les images et l’univers peuvent paraître enfantins au premier abord que ce qui est raconté est également enfantin. Au contraire, il y a une grande profondeur de fond.

Une autre caractéristique sur laquelle à la fois Little Big Adventure et Beyond Good & Evil sont des jeux assez « révolutionnaires », si vous me passez l’expression, c’est que ces deux jeux – enfin ces trois jeux si on considère qu’il y a deux épisodes de LBA – sont des mondes ouverts. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils ont inventé le monde ouvert… Reste que, là aussi, ce n’était pas vraiment la norme à l’époque comme ça peut l’être aujourd’hui. À l’époque de LBA, dans les années 1990, on avait surtout des jeux qui étaient linéaires, qui étaient divisés en niveaux. Little Big Adventure dans les années 1990, puis Beyond Good & Evil dans les années 2000, ont défendu une vision d’un monde ouvert, mais pas au sens où on l’entend aujourd’hui, où le monde ouvert, comme je le disais dans ma vidéo précédente, est plus une succession de quêtes, avec beaucoup d’objectifs qui vont vous mener très loin mais qui n’ont pas forcément toujours beaucoup d’intérêt. Plutôt un monde ouvert au sens narratif du terme. Dans LBA, mais aussi dans BGE, dans Beyond Good & Evil, vous allez être immergé dans des scènes du quotidien. Vous allez vous rendre dans un café, vous allez vous rendre dans une pharmacie, vous allez en quelque sorte vivre aux côtés de ces personnages. Et c’est ça qui va faire que le propos va se mettre en place avec d’autant plus de force : c’est que lorsque ce monde bascule dans la dictature, bascule dans la tyrannie, ça vient bouleverser un quotidien qui était établi, et auquel vous avez contribué, auquel vous avez participé, dans lequel vous avez été immergé. Et c’est donc d’autant plus fort parce que vous voyez le monde qui menace de s’effondrer, vous voyez ce qui est menacé.

Et quand, dans ma vidéo précédente, je disais que parfois j’en avais un peu marre des mondes ouverts, je voulais justement dire que je trouve qu’aujourd’hui, on fait des mondes ouverts mais en ne sachant pas toujours les exploiter comme il faut. Ça ne doit pas être seulement une mécanique de gameplay. Il peut aussi être au service d’une histoire et d’une narration. De fait, il y a deux ou trois ans, j’avais lu dans « Pixels », la chronique gaming du journal Le Monde, une interview croisée de Michel Ancel, le créateur de Beyond Good & Evil, et Frédérick Raynal, le créateur de Little Big Adventure. C’était absolument passionnant, parce que comme je l’ai dit, ce sont deux génies du jeu vidéo, deux génies français par ailleurs, qui ont tous les deux beaucoup de choses à dire sur le jeu vidéo, et notamment sur cette notion de monde ouvert. Parce qu’il faut savoir qu’aujourd’hui, Michel Ancel travaille sur deux projets, qui sont justement des mondes ouverts : le premier, ça s’appelle Wild, et le deuxième c’est précisément la suite de Beyond Good & EvilBeyond Good & Evil 2. La proposition de Wild, c’est que vous avez un monde de la taille de l’Europe (en tout cas c’est ce qu’on nous a promis) et dans ce monde, on vous offre la possibilité d’incarner n’importe quel être vivant, qu’il s’agisse d’un humain ou d’un animal. Dans Beyond Good & Evil 2, l’idée, c’est que vous avez à votre portée rien de plus que l’univers tout entier, et que vous êtes capable d’explorer cet univers à votre guise. Et dans ces deux jeux – et c’est ce dont parle Michel Ancel dans l’interview – l’idée est de réinventer le concept d’open world. Là aussi, il ne s’agit pas de créer un monde rempli de quêtes annexes, mais plutôt d’utiliser l’open world comme un moyen de libérer le joueur, et de lui faire prendre pleinement contrôle sur le jeu. Il s’agit de repousser les limites de l’interactivité. Or, cela va de soi, ce qui fait la particularité et la force du jeu vidéo, c’est précisément sa dimension interactive. Et c’est déjà ça qu’à l’époque Little Big Adventure et Beyond Good & Evil 1 avaient contribué à repousser.

Cette proposition originale que font ces deux jeux, je dirais qu’elle est partie intégrante de ce qu’on a appelé dans les années 1990 la French Touch. C’était cette idée qu’il y avait une vision du jeu vidéo « à la française ». Et vous voyez bien quand je fais le rapprochement entre Michel Ancel et Frédérick Raynal qu’il y a effectivement des points communs dans leur manière d’aborder le jeu vidéo. Et peut-être que justement, ce qui caractérise cette French Touch, c’est cette capacité à sortir du cadre, à aller un peu au-delà des normes, en n’ayant pas peur de tomber dans l’invraisemblable, voire dans des mécaniques de gameplay qui peuvent être déroutantes ; de proposer une histoire aux thématiques assez peu communes dans le jeu vidéo ; de faire une proposition un peu moins consensuelle aussi, mais qui par conséquent est d’autant plus unique et d’autant plus marquante. On cherche, avec le jeu vidéo, et avec la technologie, à atteindre un degré de réalité toujours plus fort. Little Big Adventure et Beyond Good & Evil, c’était des univers qui n’avaient pas peur d’aller au-delà du réel, de transcender le réel, et de faire véritablement appel à l’imagination. Ce qui est, je trouve, une proposition plus intéressante que de simplement copier la réalité. Tout ça n’est évidemment pas pour dire que c’était mieux avant – n’empêche que c’était mieux avant quand même ! – c’est plutôt pour souligner que ces jeux, parce qu’ils ont osé faire une proposition à contre-courant des normes, ont marqué leur histoire, ont marqué l’histoire du jeu vidéo, et n’empêche que je suis toujours là pour en parler dix ans, vingt ans après, et je suis loin d’être le seul.

Et après ? : Little Big Adventure 3Beyond Good & Evil 2, et les autres

Il y a encore des gens aujourd’hui qui signent des pétitions pour qu’un jour, Frédérick Raynal développe LBA 3. Quant à Beyond Good & Evil, on nous a promis une suite pendant des années, et il y avait là aussi une grande communauté de fans qui attendait cette suite avec impatience. Il y a quelques années, Michel Ancel a annoncé que Beyond Good & Evil 2 était bel et bien en développement, et il fait aujourd’hui partie des jeux les plus attendus.

Aujourd’hui, que reste-t-il de la French Touch ? Pas grand chose en tant que telle. De toute manière, ça n’a jamais été un genre consacré, c’est plutôt un terme journalistique qu’on a utilisé pour qualifier cette époque a posteriori. On peut considérer par exemple que les jeux du studio Quantic Dream, comme Heavy Rain ou Detroit: Become Human sont également une proposition unique dans le paysage du jeu vidéo, ou en tout cas, c’était une proposition unique jusqu’à ce que d’autres jeux prennent la relève.

Ce qui est sûr, pour en revenir aux deux héros de cette vidéo que sont Michel Ancel et Frédérick Raynal, c’est que je suis très curieux de voir ce qu’ils peuvent inventer avec les technologies d’aujourd’hui, et dans le monde du jeu vidéo d’aujourd’hui, parce que leur imagination, elle, est toujours intarissable, mais ce qui est très prometteur, c’est que la technologie a elle aussi beaucoup progressé. Et donc, je dirais qu’aujourd’hui, ils ont d’autant plus les moyens de leurs idées. Dans tous les cas, ça laisse songeur, car je suis convaincu que ce sont des figures qui peuvent réinventer le jeu vidéo, l’amener plus loin. Parce que l’évolution du jeu vidéo, ce n’est pas qu’une évolution technologique : ce sont aussi des idées qui sont de plus en plus faciles à concrétiser, et ce sont donc des récits de l’imaginaire qui peuvent être de plus en plus immersifs. Autant vous dire que j’attends avec grande impatience les jeux de Michel Ancel que sont Wild et Beyond Good & Evil 2, et que je suis toujours aussi fébrile à l’idée d’un hypothétique Little Big Adventure 3, dont Frédérick Raynal parle encore régulièrement en interview, même si, aujourd’hui, il n’est pas encore question qu’il soit en développement.

Conclusion

Voilà donc pour cette petite exploration du passé vidéoludique. J’espère que ce format vous a intéressé, et que ça vous a plu d’en découvrir davantage sur un jeu que, peut-être, vous ne connaissiez pas. Je vous l’ai dit, LBA 1 et ont vieilli, et je pense qu’en termes de gameplay ça doit être un peu déroutant d’y jouer aujourd’hui. Toutefois, sachez qu’ils sont tous les deux disponibles au téléchargement payant sur la plateforme Good Old Games, et si ça vous tente d’y jouer, eh bien ce n’est pas moi qui vais vous en dissuader : franchement, allez-y et achetez-les !

Si cette vidéo vous a plu, n’hésitez pas à faire tous les gestes d’usage : pouce bleu et compagnie — enfin, vous connaissez ça mieux que moi. Merci d’avoir eu le courage de m’écouter jusqu’au bout, malgré ma coupe de cheveux hasardeuse et le son de mauvaise qualité. (Et puis en même temps ma chaîne s’appelle « Nico », tout court, pas « cheveux tous courts » donc si ma coupe de cheveux ne vous plait pas, vous n’avez qu’à aller sur une vidéo de coiffure !) N’hésitez pas à regarder en barre de description pour aller me suivre sur mes réseaux sociaux, comme il se doit… Et comme la dernière fois, je laisse le soin à mon chien de vous dire au revoir, parce que je pense qu’il le fera mieux que moi !

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