J’ai vu l’exposition « L’Art dans le jeu vidéo » à Paris

Du 25 septembre 2015 au 6 mars 2016, le Musée Art Ludique, à Paris, présente une exposition dédiée à « L’Art dans le Jeu Vidéo ». Préalablement au développement d’un jeu, chaque studio de développement demande à ses artistes de réaliser des dessins (traditionnels ou numériques), des portraits, des storyboards, des croquis préparatoires, qui sont ensuite utilisés comme référence pour l’ensemble des environnements et personnages dépeints dans le jeu. L’idée du Musée Art Ludique, c’est d’avoir rassemblé plusieurs de ces œuvres préparatoires pour les exposer en public – un public qui ignore généralement que les concepteurs de jeux vidéo sont avant tout des artistes. En amont de l’exposition, les curateurs ont invité plusieurs studios français à envoyer plusieurs croquis préparatoires et autres œuvres réalisées au cours de la création de leurs jeux. À leur grande surprise, ils ont reçu des centaines d’artworks de toutes sortes de studios, parmi lesquelles une sélection a été retenue pour concevoir une exposition unique en son genre, et rendre ainsi hommage à l’ensemble des artistes qui participent à la conception d’un jeu vidéo. C’est la première fois dans le monde qu’une exposition de ce genre est réalisée. En tant que blogueur qui considère le jeu vidéo comme une puissante forme d’art, je me devais de visiter cette exposition moi-même : il y a quelques jours, j’ai enfin pris le temps de me rendre à la Cité de la Mode et du Design, à Paris, où se trouve le Musée Art Ludique. Voici mes impressions sur l’exposition.

Un tout nouveau regard sur le jeu vidéo

Que vous soyez vous-même amateur de jeu vidéo ou non, il y a fort à parier que cette exposition saura vous surprendre dans tous les cas : ceux qui ne connaissent pas l’univers du jeu vidéo n’auront sans doute jamais vu ce genre de dessins auparavant, les autres les auront déjà vus sur Internet, dans les bonus de tel jeu vidéo ou encore dans un artbook de croquis préparatoires – mais jamais dans un musée. Or, voir ces œuvres « pour de vrai », exposées dans un musée, est une expérience totalement différente et inédite. Dans l’inconscient collectif, le musée est le lieu dédié aux arts « traditionnels » et « nobles ». D’une certaine manière, on a cette idée qu’une œuvre d’art exposée dans un musée a plus de valeur que les autres œuvres d’art (ce qui n’est bien évidemment pas toujours le cas, mais même inconsciemment, c’est un sentiment que l’on tend à partager). Faire passer le jeu vidéo dans la sphère d’un musée semble l’élever soudainement au rang d’art reconnu et incontestable. Pour le visiteur, le sentiment est troublant, et la façon dont on appréhende le jeu vidéo s’en trouve changée. On a l’habitude de voir ces dessins sur les réseaux sociaux, entre deux photos Instagram – on les regarde quelques secondes, on like et on passe à autre chose. Là, dans ce musée, ils prennent une toute autre dimension. Pour la première fois, j’ai pris conscience de la valeur réelle de ces œuvres d’art. J’ai pris le temps de les voir, de les regarder attentivement, et d’apprécier le talent des artistes qui les ont réalisées.

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On ne pense que trop rarement aux artistes qui se cachent derrière les dessins préparatoires, puisque ce sont les éditeurs de jeux vidéo – et non les artistes eux-mêmes – qui publient les artbooks rassemblant ces œuvres, ou qui en diffusent quelques-unes sur leur site Internet. Cela rend la chose assez mécanique, moins personnelle : on associe les concept arts à un jeu, à un studio, mais rarement à un artiste en particulier. On ne connait d’ailleurs que très rarement le nom des concept artists. Pour eux, c’est donc une véritable reconnaissance que de voir leurs œuvres encadrées au mur, avec leur signature tout en bas et leur nom sur un cartel juste à côté. Je ne regarderai plus ces esquisses de la même manière. Et je pense que c’est le cas pour tous les visiteurs, en particulier ceux qui ne connaissent pas particulièrement l’univers du jeu vidéo.

De véritables œuvres d’art, de véritables artistes

L’exposition présente également plusieurs entretiens filmés avec des développeurs et artistes, les interrogeant sur leurs inspirations, les techniques qu’ils emploient, leur approche de la conception d’un jeu vidéo, etc. Nous pouvons y voir comment les développeurs passent du croquis préparatoire au véritable niveau de jeu, du portrait en deux dimensions au personnage en 3D. Le processus de création d’un jeu vidéo nous apparaît soudain moins technique, moins industriel et donc plus humain, plus personnel. Ceux qui créent les jeux vidéo ne sont pas que des hommes d’affaires ou des producteurs, ce sont surtout des personnes, de véritables artistes animés par la passion et le talent.

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Vous trouverez notamment le portrait de David Bowie, dans le jeu The Nomad Soul.

On trouve au cours de cette exposition de véritables trésors de l’histoire vidéoludique, comme des croquis dessinés par Michel Ancel lorsqu’il imagina Rayman, des portraits de personnages grandeur nature (qui nous donnent d’ailleurs l’impression d’être au milieu de la section Renaissance du Louvre), des peintures de divers paysages, villes et autres environnements, des visages sculptés dans l’argile… Au fil de l’exposition, les différents aspects de la création d’un jeu sont explorés : la recréation de villes et d’événements historiques, la conception d’univers fantastiques, la création de personnages plus vrais que nature… Chaque nouvelle œuvre nous transporte dans différents univers, différentes atmosphères, de la nature hostile de Wild au Paris dystopique de Remember Me – et l’on prend conscience qu’il n’y a aucune limite à l’imagination des développeurs.

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Wild, le jeu de Michel Ancel, transporte le joueur dans un univers vierge, inspiré par la préhistoire. Des artworks du jeu sont visibles au cours de l’exposition.

Les concept artists ne font pas que fournir aux développeurs des images de référence, ils façonnent des œuvres d’art qui se suffisent largement à elles-mêmes. Ils racontent parfois des histoires inédites, ou représentent des détails qui ne seront pas évoqués dans le jeu final, mais qui ont un sens au regard du dessin en lui-même.

Réinventer l’Art

L’idée qui anime l’exposition, c’est que les « arts 2.0 » valent tout autant que les arts traditionnels : ils sont, de fait, une simple évolution de ces arts traditionnels. Les développeurs interrogés au travers des vidéos s’accordent à dire la même chose : dans le jeu vidéo, la seule chose qui change, pour l’artiste, c’est l’outil, non pas la technique ou l’art en soi. La peinture numérique demande autant de talent que la peinture traditionnelle, l’animation faciale et la modélisation de personnages sont autant un art que la sculpture manuelle.

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Le niveau de détail des sculptures de référence est absolument bluffant.

Les nouvelles technologies ne réduisent pas le mérite ou le talent des artistes ; au contraire, ils sont un outil puissant leur permettant d’exprimer encore plus librement leur créativité. La dernière section de l’exposition se concentre notamment sur les jeux Child of Light et Rayman Legends, tous deux créés à l’aide du UbiArt Framework, un outil ingénieux conçu par Ubisoft Montpellier, permettant aux artistes d’insérer leurs dessins directement dans les niveaux d’un jeu. Un autre exemple de la façon dont la technologie peut fournir à l’artiste de nouveaux outils – ses dessins peuvent se changer en jeu vidéo en l’espace de quelques secondes (sans doute un peu plus que quelques secondes, pour être exact, mais quand même, c’est impressionnant).

Les commissaires de l’exposition font une comparaison intéressante, en affirmant que le studio de développement est le nouvel atelier d’artiste : un lieu où plusieurs artistes talentueux travaillent ensemble et apprennent les uns des autres, dans le but de créer une œuvre d’art ensemble. Aujourd’hui, les studios de jeux vidéo sont l’un des nombreux lieux où les artistes – car c’est ce qu’ils sont – peuvent laisser libre cours à leur talent et leur imagination.  Le jeu vidéo pourrait bien incarner le futur de l’Art.

La french touch n’est pas morte

Le nom complet de l’exposition est « L’Art dans le Jeu Vidéo – L’inspiration Française ». Et Française, l’expostion l’est bel et bien, avec des artworks de studios français tels que Quantic Dream (The Nomad SoulHeavy RainBeyond: Two Souls), Dontnod Entertainment (Remember MeLife is Strange) ou Ubisoft Montpellier (la série Rayman). L’exposition rend un bel hommage à l’industrie vidéoludique française. Plus que dans les autres pays, les développeurs français ont toujours considéré le jeu vidéo comme un support propice à l’art et au récit de fabuleuses histoires. Dans les années 1990, cette vision toute particulière du jeu vidéo avait un nom : la french touch. Des développeurs comme Eric Chahi (Another World, 1991) ou Frédérick Raynal (Alone in the Dark, 1992, Little Big Adventure 1 2, 1994 & 1996) exprimaient dans leurs jeux une vision artistique, poétique mais aussi quelque peu marginale du jeu vidéo : de belles histoires, des environnements poétiques, un accent mis sur l’ambiance plutôt que sur le gameplay et l’action, pour un résultat qui tranchait littéralement avec les jeux de l’époque.

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Another World est un jeu qui a divisé pour son gameplay à la fois atypique et exigeant, mais qui a également marqué l’histoire du jeu vidéo par son esthétique inspirée par le cinéma, la science-fiction et les films d’animation.

Dommage, étant donné l’accent mis sur le jeu vidéo français, que l’exposition ne donne pas au visiteur un regard historique sur cette ère toute particulière – pour autant, elle prouve que cette vision du jeu vidéo est toujours d’actualité en France. Des jeux tels que Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre (Ubisoft Montpellier), Wild (Wild Sheep Studio), Remember Me ou encore Life is Strange (Dontnod Entertainment), sont représentatifs d’une french touch moderne, qui place l’accent sur l’histoire, les environnements, la narration, parfois davantage que sur l’amusement ou sur l’action. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne prétends pas qu’il n’y a qu’en France qu’on trouve des développeurs talentueux (j’ai beau être français, je ne suis pas prétentieux à ce point). Mais tout de même, je suis fier de constater que mon pays a beaucoup à apporter à une industrie (et à un art) que j’apprécie particulièrement, surtout lorsque l’un des jeux les plus acclamés par la critique en 2015 n’est autre que Life is Strange, (sublime) jeu français. Finalement, le fait qu’une telle exposition ait lieu pour la première fois en France, avec des jeux français, semble assez significatif et logique.

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L’exposition met aussi en avant des jeux indépendants moins connus, comme Seasons After Fall, jeu français dont la sortie est prévue pour 2016. Les esquisses préparatoires de ce jeu m’ont littéralement conquis !

Un « Art Total » ?

Jean- Jacques Launier, fondateur du musée et commissaire de l’exposition dit souvent qu’à ses yeux, le jeu vidéo incarne « l’Art Total » car il fait appel au dessin, à la peinture, à la sculpture, à la création d’univers entiers et de centaines de personnages par jeu, à la mise en scène, à l’animation, au scénario, à la musique, et bien sûr à la conception d’un mode de jeu destiné à transcender l’interactivité. (Présentation de l’exposition sur le site officiel du musée)

Bien que j’aie adoré cette exposition, et que je tienne à remercier le Musée Art Ludique pour cette première mondiale, je regrette malgré tout qu’elle ne soit pas allée plus loin dans son exploration de l’art vidéoludique. Les graphismes, les dessins préparatoires, sont effectivement de sublimes objets d’art – mais pourquoi ne pas s’être également intéressé à l’art de concevoir des mécaniques de jeu, l’art d’écrire un scénario, l’art de composer la bande-son d’un jeu ? Il aurait pu s’avérer intéressant de mettre en avant d’autres aspects de la création du jeu vidéo, qui sont tout autant artistiques et réclament tout autant de talent que les arts graphiques. Dans la salle où sont exposés les dessins de Child of Light, on peut entendre en fond sonore la bande-son du jeu, composée par Coeur de Pirate. Le mélange entre les dessins et la musique met en place une atmosphère véritablement paisible et poétique (rappelant celle du jeu lui-même) et il m’a semblé que d’autres sections de l’exposition auraient pu bénéficier d’une telle installation. L’exposition prouve bel et bien que les concept artists sont, précisément, des artistes, mais elle ne rend selon moi pas suffisamment compte du travail des autres personnes impliquées dans la création d’un jeu vidéo. Peut-être la prochaine fois, au cours d’une autre exposition ?

Je fais le difficile, cela dit, car au bout du compte, cette exposition apporte beaucoup, en contribuant à changer le regard du public sur le jeu vidéo. Je pense que n’importe qui peut apprécier la visite, amateurs comme néophytes. Si vous aimez les jeux, vous serez surpris de voir ces œuvres dans un contexte totalement différent ; si vous connaissez moins cet univers, cette exposition peut s’avérer un excellent point d’entrée vers la culture vidéoludique, et un très bon moyen de venir à bout des idées reçues que vous pourriez avoir sur le jeu vidéo. On ne réalise pas suffisamment combien l’art se trouve au cœur de la création d’un jeu vidéo. Alors, si vous vous trouvez à Paris avant la fin de l’exposition, n’hésitez pas une seule seconde et rendez-vous au musée Art Ludique. Vous ne le regretterez pas.

L’exposition « L’Art dans le Jeu Vidéo – L’inspiration Française » se déroule jusqu’au 6 mars 2016 au musée Art Ludique (34, quai d’Austerlitz – 75013 Paris). Pour plus de renseignements, rendez-vous sur le site officiel de l’expositionla page Facebook du musée ou bien son compte Twitter.

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