C’est cool que Pokémon GO vous fasse sortir, mais c’est pas grave non plus de rester jouer chez soi

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En tant que joueur, Pokémon GO me parait un phénomène étrange et inhabituel. Ce n’est pas le concept du jeu en lui-même qui m’étonne, quoiqu’il reste novateur et fascinant. Ce qui me surprend, c’est que tout le monde y joue, et surtout, que tout le monde en parle. Enfin, toutes proportions gardées : « tout le monde », littéralement, ne joue pas à Pokémon GO, mais disons malgré tout que l’application s’est propagée de manière virale, et à une vitesse folle, jusqu’à intéresser non seulement les joueurs, mais aussi et surtout les médias et les personnalités publiques du monde entier. Il est bien rare de voir un jeu bénéficier d’une couverture médiatique aussi large.

Le plus souvent, quand les médias non-spécialisés s’emparent du jeu vidéo, c’est plutôt pour adopter un discours critique – à grands renforts de termes tels que « danger », « addiction », « violence », et tous leurs synonymes. Soyez sans crainte, ce discours critique, on l’entend également, et on l’entend même énormément, ces jours-ci, concernant Pokémon GO. Comme d’habitude, donc. Je ne vais pas revenir sur tous les propos négatifs tenus sur Pokémon GO, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la presse. Vous avez déjà entendu ce genre de discours, et j’y ai déjà répondu plusieurs fois sur ce blog, notamment dans mon article introductif sur le lien entre violence et jeu vidéo. Vous les connaissez, ce sont les classiques : « Les gens sont fous », « Bande de gamins, vous n’avez rien de mieux à faire que de jouer à Pokémon ? », « Il vous fallait un jeu pour sortir de chez vous ? Triste humanité… ». Quand on ne bascule pas dans le « Pokémon GO mène tout droit au totalitarisme ». La presse s’empare de tous les faits divers possibles et imaginables concernant des personnes s’étant tuées en jouant à Pokémon GO, tout en posant des questions graves comme « Pokémon GO est-il dangereux pour nos enfants ? », comme si c’était le jeu lui-même qu’il fallait blâmer dans ce cas, et non les utilisateurs imprudents. Bref, la routine. Je n’ai ni la force, ni l’envie d’y répondre, cette fois-ci. Je regrette, bien évidemment, qu’on entende toujours ce genre de discours à la fois dans les médias et dans la bouche de Monsieur ou Madame Toutlemonde, quand il n’y a plus besoin de prouver que le jeu vidéo a bien plus à nous apporter qu’à nous prendre. Mais s’il y a bien un point dont je me réjouis concernant Pokémon GO, c’est précisément le fait que l’on entend aussi énormément de témoignages positifs à son sujet. Et paradoxalement, c’est à ces derniers que je souhaite m’intéresser ici. Justement parce que, pour une fois, on les entend, eux aussi, haut et fort.

Je parle ici davantage en me fondant sur mes impressions et mon expérience personnelles que sur la base d’une vérification minutieuse des propos entendus dans les médias concernant Pokémon GO. Ce n’est donc pas une vérité absolue que je vous livre, et je ne vous fournirai pas de statistiques du type « X% d’articles positifs contre Y% d’articles négatifs ». Mais ce que j’ai pu constater, c’est que les témoignages positifs d’utilisateurs de Pokémon GO que j’entends dans les médias ou sur les réseaux sociaux tournent souvent autour des mêmes arguments. « C’est une application qui permet de sortir de chez soi ». « J’ai pu rencontrer des gens grâce à Pokémon GO, c’est ça qui est génial ! ». « Pokémon GO réunit tout le monde, et ça fait faire de l’exercice, en plus ! ». John Hanke lui-même – l’un des créateurs de l’application – assume totalement la vocation de l’application à faire sortir les gens de chez eux, à leur permettre de voyager et de rencontrer de nouvelles personnes. Et, très sincèrement, loin de moi l’idée de remettre en question toutes les vertus de Pokémon GO. Moi-même, je me suis pris au principe délicieusement accrocheur de l’application : j’y joue chaque fois que je dois sortir de chez moi, je décide d’aller explorer mon quartier à 23h pour chasser du Pokémon, je découvre des endroits où je ne m’étais jamais rendu auparavant, et je croise parfois des dresseurs qui me lancent des sourires complices. Et encore, je ne suis pas un dresseur très assidu : dans mon entourage, certains parcourent des kilomètres au cours de leurs « chasses », d’autres ont véritablement sympathisé avec des dresseurs de tous âges et de tous sexes rencontrés sur leur chemin. Très franchement, l’expérience Pokémon GO semble bel et bien une expérience fédératrice, amusante et sociale. Et pour ça, je ne peux que féliciter ses concepteurs, chez Niantic.

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Dans le trailer d’annonce de Pokémon GO, des centaines de dresseurs Pokémon s’unissaient pour affronter un MewTwo. Une scène qui m’avait paru exagérée à l’époque de la vidéo, mais qui n’est en fait pas si loin de la réalité – et nous n’en sommes qu’au début de la « Pokémon GO mania ».

Néanmoins, j’ai l’impression que ce discours ultra-positif sur Pokémon GO se fait par contraste avec les autres jeux vidéo, ces jeux auxquels on joue sur sa console, bien au chaud chez soi. Tout le monde parle de Pokémon GO, tout le monde en vante les mérites, parce qu’enfin on a trouvé le jeu qui permet de faire sortir les gens de chez eux. Comme si les gens se devaient absolument de sortir de chez eux, en fait. Et les pantouflards, alors, vous en faites quoi, des pantouflards ? Non, mais. En fait, j’ai l’impression que Pokémon GO devient la caution « jeu vidéo sain ». La perle rare, le jeu aux multiples vertus, par opposition aux autres jeux tristement addictifs et abrutissants, dangereux pour nos enfants. Anecdote personnelle : j’ai eu l’occasion de répondre, il y a quelques jours, aux questions d’un journaliste radio sur Pokémon GO, à l’occasion d’un micro-trottoir. De cet échange, la seule phrase qui a été retenue dans le reportage à sa diffusion était celle où j’expliquais qu’il est nécessaire de sortir de chez soi pour jouer à Pokémon GO, et même de faire du sport lorsqu’il s’agit de faire éclore les oeufs de Pokémon en marchant. Un témoignage qui colle parfaitement à ma réputation de grand sportif (ma bouée ventrale est en train de me crier le contraire, mais c’est un autre sujet). Et le reportage de poursuivre avec le témoignage d’un joueur ayant parcouru une dizaine de kilomètres dans Paris en une seule nuit, pour le seul plaisir de chasser des Pokémon. Bref, j’ai l’impression que c’est ça qui intéresse les médias, et de façon plus globale, ce qui fait que beaucoup de gens défendent et encensent Pokémon GO : un jeu qui permet de faire du sport, ça c’est une bonne idée, et c’est bien mieux que le reste, ces jeux pour gamers que l’on joue seul chez soi comme un aliéné. Ce n’est pas la première fois qu’on voit ça : à l’époque de WiiFit, le jeu qui vous permet de faire du sport devant votre télé, on nous en vantait le succès dans les maisons de retraite, où les pensionnaires retrouvaient grâce au jeu l’énergie de faire du sport. Nintendo s’est d’ailleurs illustré avec un grand nombre de titres du même acabit, comme le fameux Programme d’entraînement cérébral du Dr. Kawashima, titre-phare de la Nintendo DS nous promettant d’améliorer « l’âge de notre cerveau ». Et, là aussi, petits comme grands se prenaient au jeu, et les parents ne s’inquiétaient pas de savoir si oui ou non, le Dr. Kawashima mettait en danger leurs enfants. En fait, j’ai l’impression qu’on ne s’autorise à dire du bien du jeu vidéo qu’à partir du moment où on lui trouve des vertus thérapeutiques ou éducatives. On attend du jeu vidéo qu’il soit utile.

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Alors que, bon, Kawashima a l’air bien plus dangereux pour vos enfants que n’importe quel Pokémon… :/

Pourtant, il n’y a pas de honte à rester vissé à son canapé, occupé à jouer à un jeu vidéo sur une console de salon. Certes, en ce moment c’est l’été et c’est sans doute le moment où l’on préfère sortir de chez soi que de jouer à la console (mes coups de soleil sont en train de me crier le contraire, mais c’est un autre sujet). Mais disons que de manière générale, jouer à un jeu vidéo est une activité parfaitement saine, tout aussi saine que de sortir de chez soi (quelle que soit la raison qui vous pousse à sortir). Peut-être pas sur le plan physique en effet – jouer sur son canapé ne permet pas de faire de l’exercice – mais au-delà de ça, il n’y a rien d’avilissant, d’abrutissant, au fait de jouer. Comme Pokémon GO, le jeu vidéo auquel on joue chez soi peut aussi permettre de sociabiliser. Il y a ces jeux auxquels on joue avec ses amis dans son salon, il y a ceux auxquels on joue en ligne avec des amis « virtuels », il y a ces forums, ces sites de fans, ces véritables communautés qui se constituent, échangent et même se rencontrent « in real life ». Et puis, il y a aussi le lien qui peut se constituer entre le joueur et le développeur, qui existe bel et bien comme dans toute oeuvre de l’esprit : l’auteur s’adresse au joueur et, dans un jeu, du fait de l’interactivité, le joueur s’adresse aussi à l’auteur, d’une certaine manière. Et au-delà de la sociabilité, le jeu vidéo peut apporter énormément au joueur : la raison d’être de ce blog est précisément de mettre en avant la poésie, l’émotion, la sensibilité, la beauté que l’on peut trouver dans un jeu vidéo, qui sont selon moi des arguments suffisamment convaincants pour justifier de rester scotché à son écran pendant quelques heures. Je ne dis pas que je suis le seul ou le premier à tenir ce genre de discours, je dis simplement que c’est dommage qu’il ne soit pas le discours entendu le plus souvent dans les médias grand public, et que l’on n’entende d’avis positifs sur le jeu vidéo que lorsqu’il permet de faire du sport ou de sortir de chez soi.

En définitive, je me réjouis du fait que Pokémon GO amuse et fédère à ce point, et du fait qu’on trouve, pour changer, des avis positifs concernant le jeu vidéo (nonobstant les innombrables discours critiques sur lesquels, je le répète, je n’ai pas envie de revenir cette fois-ci). Mais tous les défenseurs de Pokémon GO pourraient aussi défendre le jeu vidéo dans son ensemble. J’aimerais voir à l’avenir les médias grand public s’intéresser au jeu vidéo, et l’encenser, y compris lorsqu’il ne propose pas de faire du sport ou de vous éduquer sur quelconque sujet – bref, lorsqu’il ne sert à rien, hormis peut-être à s’évader, se divertir, s’ouvrir. Et même, j’invite ceux qui ne jouent pas habituellement, mais qui se sont pris au concept de Pokémon GO, à tenter également d’autres expériences vidéoludiques. Dans le pire des cas, ça ne vous plaira pas, et au mieux, vous aurez découvert une nouvelle expérience enrichissante. Ce n’est pas parce que Pokémon GO fait faire du sport ou qu’il suscite plus d’engouement qu’il est plus (ou moins) digne d’intérêt que les autres jeux vidéo. C’est décidément cool que Pokémon GO fasse sortir les gens de chez eux, mais il n’y a vraiment aucun mal non plus à rester sur son canapé pour jouer à la console.

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Juste pour rire : l’avis critique (et complètement absurde) de personnes n’ayant absolument jamais joué à Pokémon GO :
Sur les nombreuses vertus de Pokémon GO et des jeux vidéo « sains » par rapports aux autres jeux vidéo :

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